24 avril, 2025
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Hakim Tounsi reste en alerte, mais veut encore croire dans Tunisair

Nous avions envoyé le lien d’un article intéressant à notre ami Hakim Tounsi afin qu’il puisse régir: Tunisair risque la faillite, un plan d’urgence pour sauver la compagnie. Voici ses réponses à nos questions.

Qui est Hakim Tounsi?

A l’heure où la Tunisie déploie une vaste campagne de promotion touristique intitulée « Vivre l’instant T, vivre l’instant Tunisie », dans 16 pays européens, la question de la connectivité aérienne devient plus que jamais stratégique. Sans une compagnie nationale performante et accessible, les efforts de promotion risquent de rester sans impact. C’est dans ce contexte que Hakim Tounsi, président du tour-opérateur Authentique, tire la sonnette d’alarme sur la situation de Tunisair, tout en proposant des pistes concrètes pour sa refondation.

Connu pour son franc-parler et son engagement sans faille en faveur du tourisme tunisien, Hakim Tounsi, président du tour-opérateur Authentique, partage ici une analyse sans concession de la situation de Tunisair à l’aube de la saison estivale 2025. S’il dénonce les dérives, il appelle surtout à une refondation ambitieuse et lucide de la compagnie nationale.

Hakim Tounsi

Hakim, vous êtes un fin connaisseur du tourisme tunisien. Quel regard portez-vous sur la situation actuelle de Tunisair ?


Tunisair reste, en 2025, un acteur à la marge du tourisme tunisien, dans une forme de survie organisée. Cette compagnie a fait rêver des millions de voyageurs, a porté l’image de la Tunisie dans le monde entier, et pourtant, elle traverse depuis plus d’une décennie une crise profonde, marquée par une gouvernance hésitante, un climat social instable, et une flotte qui s’est réduite à une dizaine d’avions en exploitation, bien loin des 33 appareils qu’elle comptait autrefois, et qui n’est plus à la hauteur des exigences du transport aérien moderne.

Vous parlez souvent de Tunisair comme d’un « patrimoine stratégique ». Pourquoi cet attachement ?


Parce qu’au-delà de son activité économique, Tunisair est un pilier de la souveraineté nationale.
Rappelons qu’en 2011, lors de la révolution, elle fut la seule compagnie à continuer d’opérer en Tunisie, alors que toutes les compagnies étrangères quittaient le ciel tunisien.
Elle a assuré la continuité du service public, du fret, des liaisons vitales pour nos citoyens.
Aujourd’hui encore, avec une diaspora de près de 2 millions de Tunisiens à l’étranger, elle demeure un vecteur essentiel de lien social, culturel et économique.

Tunisair

Mais comment expliquer que la compagnie reste en difficulté malgré un potentiel aussi fort ?


Plusieurs facteurs s’additionnent. Un sureffectif chronique, une gestion budgétaire obsolète, une politisation de certaines décisions et une stratégie commerciale incohérente.
La flotte n’est plus en adéquation avec les besoins du programme commercial de la compagnie, les retards se multiplient, et pourtant la compagnie continue d’occuper un siège social imposant, de maintenir des antennes à l’étranger qui ne sont plus justifiées, et n’a pas encore intégré pleinement les opportunités du digital pour sa gestion, son marketing, ou sa relation client.

Vous évoquez souvent l’erreur stratégique des années 2010. Pourquoi ?


En 2006, on a voulu faire de Tunisair un hub africain, en réduisant drastiquement le charter au profit du régulier, en lorgnant même vers l’Amérique du Nord.
L’idée n’était pas mauvaise sur le papier, mais elle n’était pas dimensionnée à nos moyens.
Résultat : on a ouvert des lignes coûteuses, sur des marchés peu mûrs, avec une flotte sous-dimensionnée et sans marges de manœuvre financière.
Un plan de redressement a été annoncé en 2013 ? Il devait sauver la compagnie en cinq ans. Malheureusement les promesses n’ont pas été tenues. En 2018, on comptait plus de 1,2 milliard de dinars de déficit.

Transavia

Et aujourd’hui ? Quelles perspectives concrètes ?


La bonne nouvelle, c’est que le trafic vers la Tunisie est bien reparti.
En 2024, malgré la pression des low-cost et la montée en puissance de compagnies comme Nouvelair ou Transavia, Tunisair a transporté plus de 4,2 millions de passagers, un record depuis la Révolution.
Mais le chiffre d’affaires ne suffit pas tant que la structure de coûts n’est pas revue, tant que la flotte n’est pas modernisée et multipliée au moins par 2, et surtout, tant que les mentalités n’évoluent pas.

Justement, quelles sont vos propositions pour un avenir durable ?


Un plan de transformation digitale total : réservation, gestion des ressources, SAV, yield management. Aujourd’hui, Tunisair est encore loin des standards modernes.
Un recentrage stratégique : ne pas vouloir être partout. Mieux vaut être fort sur l’Europe et la Méditerranée, plutôt que de courir après des lignes déficitaires.
Une refonte de la gouvernance : l’État doit jouer son rôle de stratège, pas de gestionnaire. La compagnie doit être pilotée par une direction indépendante, professionnelle, avec des KPI clairs.
Une réconciliation sociale urgente : les salariés doivent être parties prenantes d’un projet ambitieux, exigeant, mais juste. On ne peut pas moderniser en négligeant l’humain.
Et enfin, un ancrage fort dans l’écosystème touristique : Tunisair doit redevenir un partenaire des TO, des hôteliers, des destinations, pas un opérateur isolé.

Pensez-vous qu’un scénario de faillite-restructuration à la Swissair soit envisageable ?


Non. Tunisair est trop stratégique pour qu’on la laisse tomber.
L’État est caution de la majorité de ses dettes — il serait perdant sur tous les plans.
Mais ce sursis ne peut pas être éternel. Il faut un plan de relance crédible, bancable, co-construit avec les partenaires sociaux, et surtout tourné vers l’excellence opérationnelle. Peut être faudrait il à Tunisair un partenaire stratégique capable de lui apporter le plus dans le cadre d’une synergie gagnant/gagnant qui pourrait lui permettre de revenir en force vers son marché et vers son cœur de métier d’une manière moderne avec des moyens à la hauteur des exigences du moment.

Hammamet

Un dernier mot  ?


Tunisair, c’est une ambassadrice naturelle de la Tunisie.
Chaque vol est une promesse de voyage, un parfum de jasmin, une invitation à découvrir notre culture. Mais cette promesse doit être tenue jusqu’au bout, avec des avions à l’heure, des cabines modernes, un personnel valorisé et une organisation qui inspire confiance.
La Tunisie de 2025 mérite une Tunisair digne des ambitions de tout un pays. Il est temps de transformer la nostalgie en action, l’attachement en gouvernance, et le potentiel en réussite.

Quand on embarque sur Tunisair, on embarque déjà pour la Tunisie. Il est temps que ce rêve ne se transforme plus jamais en déception.

Entretien avec Hakim Tounsi. Président du tour-opérateur Authentique.

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