Entre les boutiques scintillantes et les cafés centenaires, un immense décor recouvre une façade entière en forme de gigantesque malle Louis Vuitton. Ce n’est pas une illusion publicitaire : c’est le décor qui cache la métamorphose la plus ambitieuse de LVMH à Paris. Derrière cette installation spectaculaire se prépare le premier hôtel au monde à porter le nom de Louis Vuitton.
Un emplacement chargé de légende
Au 103-111 avenue des Champs-Élysées, l’adresse est déjà un roman en soi. Construit en 1898 par l’architecte Georges Chedanne, ce palais haussmannien fut d’abord l’Hôtel Élysée Palace, l’un des plus luxueux de la Belle Époque. Ses salons dorés, ses balcons en fer forgé et ses ascenseurs d’époque accueillaient princes, actrices et têtes couronnées.
Mata Hari fut arrêtée dans ce lieu
C’est ici, le 13 février 1917, qu’une suite du troisième étage devint le théâtre d’un des épisodes les plus romanesques de l’histoire de l’espionnage. Mata Hari, la danseuse exotique devenue agent double, y fut arrêtée par la police française. Menottée dans sa robe de soie, elle quitta l’hôtel sous les flashs des photographes, avant de monter à l’échafaud quelques mois plus tard. L’imagination s’emballe : certaines chambres conserveront-elles une plaque discrète rappelant ce passé sulfureux ?
Deux ans plus tard, en 1919, l’hôtel Élysée Palace ferma ses portes…
…pour laisser place à une banque. Les lustres furent remplacés par des guichets, les tapis persans par des coffres-forts. Pendant l’Occupation, l’immeuble fut réquisitionné par la Wehrmacht. Après la Libération, la HSBC y installa son siège français jusqu’en 2020. Aujourd’hui, le bâtiment retrouve sa vocation première : accueillir ceux qui recherchent l’exceptionnel.
Un projet titanesque approuvé dans l’ombre
Le destin de cet immeuble a failli être tout autre. En 2019, LVMH envisageait d’y installer la plus grande boutique Dior du monde. Les plans étaient prêts, les autorisations presque obtenues. Mais Bernard Arnault, visionnaire insatiable, changea d’avis.
Pourquoi se contenter d’un flagship quand on peut créer une destination ?
Le 28 septembre dernier, la commission départementale d’aménagement commercial de Paris a donné son feu vert au projet hôtelier. 6 000 mètres carrés, plusieurs10 étages, une cour intérieure réaménagée, des terrasses avec vue imprenable sur l’Arc de Triomphe : tout a été repensé pour faire revivre l’esprit des palaces d’antan, mais avec le regard contemporain de Louis Vuitton.
La malle géante : un clin d’œil magistral
Pour protéger les travaux – et offrir au public un spectacle inédit –, LVMH a fait construire une structure colossale en bois et aluminium reproduisant à l’échelle 1:1 une malle de la maison. Haute de six étages, recouverte du célèbre motif Monogram, il est devenu en quelques semaines l’attraction préférée des touristes. La nuit, éclairé par des projecteurs doux, il semble flotter au-dessus de l’avenue comme un vaisseau prêt à partir pour un voyage immobile.
Les travaux, eux, avancent à un rythme soutenu, mais avec une contrainte de taille : tout sera mis en pause pendant les Jeux olympiques de 2024. Paris sera alors le centre du monde, et les Champs-Élysées une scène à ciel ouvert. LVMH a promis que le décor restera en place, transformée peut-être en installation artistique interactive.
À quoi ressemblera l’expérience Louis Vuitton ?
Si le groupe reste discret, les indices se multiplient. On parle de seulement une cinquantaine de chambres et suites, toutes différentes, dessinées comme des malles vivantes : cuirs cousus main, serrures en laiton gravé, tissus inspirés des collections historiques. Certaines suites occuperont d’anciens salons de l’Élysée Palace, avec leurs cheminées en marbre et leurs balcons filants.
Un restaurant signature, peut-être confié à un chef triplement étoilé, occupera le dernier étage avec une vue à 360° sur Paris. Un bar clandestin, caché derrière une bibliothèque pivotante, rendra hommage aux années folles. Et bien sûr, une boutique intégrée, mais pas n’importe laquelle : une « maison de haute curiosité » où l’on pourra commander des malles sur mesure, comme au XIXe siècle.
LVMH, maître du luxe expérientiel
Ce n’est pas la première incursion de LVMH dans l’hôtellerie. Cheval Blanc à Courchevel, Saint-Tropez ou Saint-Barthélemy, Belmond dans le monde entier, la Fondation Louis Vuitton… Le groupe sait créer des lieux où l’on ne vient pas seulement dormir ou acheter, mais vivre une émotion.
Avec cet hôtel, Louis Vuitton ne vend plus seulement des sacs ou des valises : il vend du temps suspendu, des souvenirs cousus main, une parenthèse où chaque détail raconte une histoire. Ouvrir en 2026, juste après les Jeux olympiques, c’est aussi s’assurer que Paris restera, pour longtemps encore, la capitale mondiale du rêve.