28 mars, 2024
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Sur un tempo de bossa nova

Je vais encore très souvent au Brésil, pendant longtemps je l’ai visité, parcouru, j’y retourne toujours et sans mentir je peux dire que c’est comme si j’y avais vécu. Je m’aperçois maintenant avec un peu de recul que je n’en revenais jamais tout à fait.

On m’a dit qu’il n’y a là rien de bien étonnant, que le Brésil est terre d’évidentes  faciles séductions, que l’on s’attache , en outre, à tout pays  où le hasard des circonstances vous permet d’user avec bonheur une petite tranche de votre vie,  surtout lorsque votre métier vous confère le privilège et le devoir d’observer, dans leur gratuité même, les choses et les gens, de les comprendre , de les expliquer, ce qui est déjà, qu’on le veuille ou non, une manière de les aimer.

J’ai donc aimé le Brésil et les brésiliens. C’était apparemment facile. Je logeais le plus souvent dans une carte postale. L’arc parfait de Copacabana s’inscrivait dans le cadre de mes fenêtres. Côté cuisine un morceau de forêt presque vierge au sommet d’un « morro » intercalait une délicate estampe coloniale entre deux quartiers mangés par le béton et animés d’un mouvement frénétique. Une autre vie s’y accrochait, miséreuse mais charmante avec ses baraques aux couleurs tendres.

Cette extravagante géographie « carioca » j’en ai retrouvé souvent le reflet dans la manière de vivre et de penser de mes amis brésiliens. Pour Paul Claudel, le Brésil est le côté rigolo de l’existence. En ce qui me concerne j’ai eu tout simplement l’impression de réapprendre à marcher, à me mouvoir dans une nouvelle dimension, à respirer à un autre rythme.

Mes premiers séjours ne se sont pas faits sans faux pas, il m’arrivait d’être excédé. L’espace, ici abolissait le temps et ses mesquines conventions. Il m’a fallu pour faire mienne cette liberté, ce naturel des corps, cette spontanéité fugitive des cœurs, prendre vraiment la mesure ou plutôt la démesure de cette étrange, fascinante, si proche et à la fois si lointaine planète. De Manaus à Porto-Alegre, de Bahia à Belo Horizonte, j’ai découvert un monde multiple, formidablement contrasté. Et pourtant ce monde m’est apparu étrangement homogène. Une cohérence instinctive surgissait de ce chaos de couleurs, de races, de paysages, de milieux.

Il existe encore, je crois, inachevée et tâtonnante toute en proie à la difficulté d’être une civilisation brésilienne.

Créer une civilisation n’est pas le privilège de tous les pays neufs. Le Brésil fait bien autre chose que séduire ; il marque atteint l’être et l’engage. Il impose un choix. On le refuse ou on l’accepte en bloc.

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Bien davantage qu’un pays continent c’est devenu un mythe mais il ne faut pas s’effrayer pour autant. Le Brésil sait mieux que tout autre pays s’offrir à bras ouverts sans voile ni faux mystère. Et même si  vous arrivez à découvrir dans le breuvage qu’il vous propose des ingrédients plus subtils, plus inquiétants que vous avez pu l’imaginer, même si vous apprenez vite à discerner, derrière la douceur de cette vie, ses extases, sa tendresse, l’ombre toujours et encore présente d’une angoisse, vous reconnaîtrez aussi , instinctivement, cette saveur douce-amère, cette « saudade » comme l’on dit là-bas, comme celle d’une nostalgie familière qui arrive de très loin à travers l’océan et les siècles : du Portugal des navigateurs conquérants à l’Afrique des esclaves déportés.

Jacques Baschieri dit Vinicius

Livre écrit par notre Jacques – dans toutes les librairies

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