26 avril, 2024
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Quelques notes de fado… regards sur Lisbonne

Il serait vain de discuter si la ville a été fondée par Ulysse ou par les phéniciens. De toute évidence, elle est née d’une escale d’un de ces grands voyageurs qui a sans doute été séduit par le doux moutonnement des sept collines mirées dans les eaux, déjà salées, d’une rade profonde et  calme à l’estuaire du Tage.

Allis-Ubo en phénicien signifie rade sereine. C’est ainsi que les historiens qui préfèrent les faits à la légende expliquent le nom de Lisbonne.

Pour bien connaître Lisbonne il faut se perdre dans le chaud dédale de ses vieux quartiers et se pencher sur la ville du haut de ces belvédères envahis de glycines pour y reconnaître les quais, les places et les jardins.

Certes c’est une métropole de près d’un million d’habitants. Sa plus noble place que l’on a vouée au commerce, mais qu’on persiste avec raison à appeler Terreiro do Paço (terrasse du palais) parce qu’elle est royale, est déshonorée par les centaines de voitures d’un parking où tournoient des autobus à deux étages.

Des agents casqués, abrités l’été d’un petit parasol rayé, essaient de venir à bout des embouteillages dans les rues de la baixa (la ville basse).

Le Rossio, plaque tournante de la vie lisbonnaise, est devenu un carrousel de voitures et pour faciliter le trafic on a du rogner le superbe tapis de cailloutis noir et blanc qui semblait amener les ondulations du Tage jusqu’au socle de la statue du roi Pedro. Pigeons et fleuristes s’y sont réfugiés dans l’éclaboussement des fontaines.

C’est là que s’amorce le Chiado quartier des élégances. Pas de grands magasins. Parfois, entre deux vitrines étroites où s’exposent des soieries italiennes, des cuirs anglais, de la lingerie de Paris parmi les créations portugaises, on voit un cireur-savetier installé dans un corridor. Des aveugles psalmodiant proposent des billets de loterie aux dames qui viennent prendre le thé dans des pâtisseries démodées, mais fameuses.

Les rues sont en pente raide, les trottoirs étroits, la foule dense. On y prend les taxis d’assaut. Mais il  m’a suffi de quelques pas, pas davantage, pour découvrir des oasis paisibles comme la provinciale petite place de la Bibliothèque publique, le silence ponctué d’envols de colombes des ruines du Carmo, ou derrière la coquille vide, calcinée et pathétique de São Domingos, une petite rue interdite aux voitures et tapissée de langoustes géantes et d’araignées de mer.

Car en dépit de sa turbulence, dont les lisbonnais sont secrètement fiers de la témérité terrifiante de ses automobilistes, de la discutable efficience de ses règles de circulation, Lisbonne  m’a paru une ville sans hâte, nonchalante et qui garde en cela cette élégance surannée qu’est la politesse, luxe que ne peuvent se permettre que les gens qui ne sont pas pressés.

Des musées vivants résument et expliquent Lisbonne

On m’avait dit de prendre mon temps pour aller à Belem car  j’y avais rendez-vous avec un des moments essentiels de l’histoire du monde.

Le monument des Découvertes s’avance dans le Tage, portant en figure de proue l’Infant Henri le Navigateur. Il tient en ses mains la caravelle qui dompta le vent et la mer ténébreuse et « donna des mondes au monde ». Ce « padrao » du souvenir s’élève sur la plage du Restelo, chantée par Camoens, d’où partirent un matin les voiliers de Vasco de Gama. Il avait toute la nuit prié dans cette humble chapelle qui domine la colline. Il revint parmi les Te Deum et les vivats, rapportant à pleines cales l’or et les épices des Indes. C’est du reste la dîme sur le poivre qui permit d’élever cet admirable ex-voto des Jéronimos : l’église aux portails plus fouillés que des ivoires, aux profondeurs safranées de grotte marine et le couvent, dont le cloître éblouit à force de richesse et qui cependant rayonne de pureté.

Je regarde cette tour aux balcons phéniciens, aux tourillons mauresques mais marqués de la croix de Christ,  le blason portugais vers qui se tournait jadis le regard de ceux qui partaient vers des aventures au bout du monde et qu’ils cherchaient à l’horizon au retour de leurs longs, périlleux et fabuleux voyages.

Le musée de la Marine dont une ancre symbole d’espérance marque le seuil raconte leur prodigieuse épopée.

Il y a tout près une cinquantaine de carrosses royaux qui s’alignent avec leurs cristaux, leurs ors, les scènes galantes des vernis-Martin venus de France, orgueilleuses allégories destinées à éblouir un pape, reflets frémissants de splendeurs d’autrefois.

En face, ou presque c’est le musée d’art populaire qui offre avec le naïf orgueil des simples mille objets voués aux besognes et aux joies quotidiennes les plus humbles et les plus nobles, de l’écuelle à la lampe, de la quenouille à la bannière de procession en passant par le harpon du pêcheur et le harnais du muletier jusqu’au manteau de toison du berger. Chacun d’eux est orné avec un touchant souci de beauté, coquetterie d’un peuple pauvre et poète qui moissonne avec un épi ou une rose passé au ruban du chapeau, qui va en mer guidé par l’œil de Dieu peint sur sa barque et pour qui le pain et le vin restent sacrés.

Au musée d’art ancien j’ai pu voir sur les visages inspirés et virils des portugais du XVème siècle les traits fondamentaux des portugais d’aujourd’hui peints sur le fameux polyptyque de Nun’Alvarès et c’est avec un art infini que sont présentés au musée privé Gulbenkian des toiles flamandes, du mobilier français et surtout de précieuses céramiques persanes ou turques.

Tant de musées me suis-je dit pour une si courte visite ?

Oui ! c’est parce que chacun révèle une facette du Portugal et que chacun est en situation dans un quartier de Lisbonne où la demeure blasonnée voisine sans façon avec le patio populaire grouillant d’enfants et de chats rôdeurs. A la fondation Espirito Santo dans le cadre du Castelo médiéval et des mille ruelles d’Alfama on apprend ce que pouvait être le raffinement de la vie d’un seigneur portugais du XVIIIème siècle

C’est avec un regard déjà formé à discerner les valeurs d’un art original et souvent exotique que j’ai pu alors, avec profit, courir les antiquaires, et admirer les bois dorés, les terrines en vieux Chine, les tapis d’Orient et leurs merveilleuses transpositions portugaises, les faïences murales, l’argenterie incomparable, les bijoux anciens. Ou plus simplement les poteries et les santons, les ouvrages d’aiguille et les ferronneries. Cette quête passionnante m’a entraîné dans les quartiers où l’herbe pousse entre les pavés.

Un angélus sonne dans le silence de placettes arrondies où jadis tournaient les équipages. Des escaliers dégringolent, rebondissent et fourchent au hasard des pentes raides, et soudain  j’ai vu s’ouvrir, derrière le feuillage léger d’un saule ou d’un poivrier, un immense panorama fluvial peuplé de mouettes et de voiles, de ferries, de cargos, de navires au long cours.

«Rade sereine» Lisbonne est aussi port de refuge. Du réfugié sans bagages au roi sans couronne, de nombreux sans-patrie y ont trouvé un chaleureux asile.

J’ai compris alors, que Lisbonne se déguste à petites gorgées, multiple et familière. Les trésors d’un grand passé laissent une trace profonde, certes, dans le souvenir  mais ils n’éclipseront pas, pour ceux qui savent les voir, la grâce d’un vieux palais qui s’effrite, rose et fané, à l’ombre d’un néflier du Japon ou la belle courbe d’un escalier de pierre qu’enjambe l’ombre portée d’une vieille lanterne, ou le gai pavois des lessives claquantes, au même souffle que les voiles rouillées des gabares du Tage, ce souffle qui mena jusqu’aux Indes les caravelles du grand Vasco.

Notes en marge sur mon carnet de voyages

Jacques BASCHIERI, dit Vinicius

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