Ne parlez plus de bonne cuisine, dites gastronomie, c’est plus stylé. La cuisine aujourd’hui se fait en nœud papillon avec un discours sur l’origine contrôlée du poivre.

Ca fait des lustres, y compris en voyage de presse, qu’on ne m’a plus proposé un resto où on fait de la bonne cuisine. Tout est gastronomie même dans la plus banale des auberges. Tu ne manges plus un bon pot-au-feu. Non, tu vas chez Michel, rebaptisé Chef Michel, renommé pour sa maîtrise des saveurs ancestrales, qui va te faire déguster sa réinterprétation gastronomique du pot-au-feu. Ce sera le même pot-au-feu que celui de ta grand-mère, à supposer d’ailleurs qu’il soit aussi bon…
Mais sur le menu de l’auberge, tu lis : “Harmonie de morceaux choisis de bœuf, légumes de saison infusés dans un bouillon délicatement épicé, accompagné de sa fleur de sel de Guérande.” En clair, c’est toujours ton vieux pot-au-feu, sauf qu’il y a trois mots en plus pour justifier une addition plus salée que la soupe.
Le summum ce sont les desserts ! Avant, quand tu voulais un fondant au chocolat, tu te faisais plaisir rien qu’à l’évocation de son nom. Maintenant, c’est plutôt “un cœur coulant de chocolat noir d’origine unique, niché dans un écrin cacaoté, accompagné d’un croustillant de noisettes torréfiées et d’une quenelle de glace au lait frais”. Sans compter le supplément tarifaire qui s’applique à la poésie de cette appellation. Faire rêver, on le sait bien dans le tourisme, ça n’a pas de prix.
Et surtout, sacrilège ! vérifie bien que le serveur ne te souhaite pas bon appétit. Ca ne se fait plus, mais alors plus du tout. Même pour ton burger dégoulinant de ketchup la formule correcte du moment est « bonne dégustation ». Faut suivre hein ?!