13 octobre, 2025
spot_imgspot_imgspot_imgspot_img

Pigeon ou mouton? Suis-je devenu un touriste trop docile? (2)

Voici la suite de mon récit des vacances estivales. Après l’escale à Los Angeles, je me suis envolé vers Tokyo le 15 août, où m’attendait un été torride, entre stupeur et malentendus, pour paraphraser Nothomb.

Omotesando, l'un des coins préférés des touristes
Omotesando, l’un des coins préférés des touristes

Deuxième partie: Tokyo, la fournaise surpeuplée

Celui-ci est mon troisième voyage au Japon, où je reviens dix ans plus tard, toujours attiré par le choc culturel d’une civilisation si éloignée de la mienne. Mon intention était de séjourner à Tokyo, puis partir à la découverte d’un nouvel endroit du pays.

Akita: une énorme plantation de lotus en plein centre ville
Akita: une énorme plantation de lotus en plein centre ville. Fantastiquement beau!

Vu la forte augmentation des prix du Japan Rail Pass, je me suis plutôt tourné vers un nouveau produit train sorti en mai dernier: un pass de 10 jours qui permet de parcourir la région du Tohoku, au nord de l’île principale de Honshu, pour 48 000 yens, environ 300 euros.

Une aubaine, car cela m’a permis de prendre de l’air un peu plus frais tandis que la canicule frappait fort dans la capitale, et de connaître une région peu explorée, sauf par ceux qui répètent la destination et par ces Occidentaux (allais-je découvrir avec étonnement durant mon séjour…) qui parlent le japonais et qui s’aventurent hors des sentiers battus.

Personne et personnage, tu deviendras poupée un jour...
Personne et personnage, tu deviendras poupée un jour…

J’ai organisé un programme avec séjour à Tokyo au début et à la fin du voyage entrecoupés de 10 jours de découverte du Japon rural

Airbnb est une vraie boîte de Pandore. Étant géré en grande partie par des particuliers, « l’expérience » -ce mot hyper galvaudé dans le lexique actuel du tourisme- dépend évidemment des atomes crochus entre l’hôte et le visiteur. Je ne sais pas vous, mais personnellement je regarde pas mal avant de faire mon choix d’hébergement. Non seulement les avis des voyageurs, mais aussi les portraits des propriétaires. Un petit jeu où je m’improvise « profiler », une sorte de « à la tête du client » à l’inverse. 
Souriez, vous êtes toujours surveillés!
Souriez, vous êtes toujours surveillés!
Jusque là, mon instinct physionomiste m’a généralement mené à bon port. Par exemple, j’ai rencontré Maria, une hôte charmante à North Hollywood, qui m’a fait estimer Los Angeles d’un regard plus indulgent. Comme quoi, un voyage réussi dépend beaucoup des personnes que l’on croise sur sa route…
La glace pilée japonaise s'appelle le kakigōri
La glace pilée japonaise s’appelle kakigōri
Pas de bonne bouille en vue, hélas, lors de ma recherche sur Tokyo, où les meilleurs choix se trouvaient chez des hôtes qui semblaient des gestionnaires plus que des particuliers, à en juger par l’important parc immobilier affiché sur le site. Pourquoi pas, me dis-je, surtout que tant l’emplacement comme les prix étaient très intéressants. 
La ligne de métro la plus proche du Airbnb
La ligne de métro la plus proche du Airbnb

Même si le pseudo Airbnb finit par un « a », cela ne veut pas dire qu’il s’agisse d’une femme…

Par souci de confidentialité, je nommerai le premier hôte M..A et le second S….A, à bon entendeur…

Chez M..A, j’ai loué un petit appartement dans la partie nord-ouest du quartier Shinjuku, suffisamment proche d’une station de métro desservie par la ligne jaune Chuo Sobu, ce qui était idéal pour rejoindre rapidement plein de coins de la ville de par sa proximité du gigantesque nœud de transports qui est Shinjuku.
Grâce aux reportages télé et autres vlogs sur le web, Kappabashi est devenu un must chez les touristes étrangers...
Grâce aux reportages télé et autres vlogs sur le web, Kappabashi est devenu un must chez les touristes étrangers…
Situé dans un quartier résidentiel des plus charmants, le deux pièces était plus petit que sur les photos, avec du mobilier beaucoup trop grand pour l’espace disponible, mais avait un énorme balcon avec vue ouverte et était équipé d’air conditionné, absolument essentiel pendant les 6 nuits du séjour.
Du casse croûte hyper esthétique vendu dans les gares ou dans les trains... à quand un Ekiben à la Gare du Nord? 
Du casse croûte hyper esthétique vendu dans les gares ou dans les trains… à quand un Ekiben à la Gare du Nord?
La communication avec M..A (qui, d’après sa photo du profil sous fond de montagnes, s’est avéré un homme japonais passionné de pêche) fut claire et fluide, sans doute grâce à l’excellent traducteur automatique dont dispose Airbnb. Simple aussi pour les instructions sur le check-in pour récupérer les clés.
Papier mâché: l'artisanat japonais est d'un raffinement exquis
Papier mâché: l’artisanat japonais est d’un raffinement exquis
Même chose pour l’électroménager. Là où ça se complique (et qui m’a rappelé les difficultés de mes séjours précédents) c’est à l’heure de comprendre les règles et protocoles locaux, en l’occurrence sur la disposition des ordures ménagères.
Un étrange panneau dans le métro: voulez-vous que je regarde les déchets ou que je fasse attention à ne pas les jeter n'importe où? Faut vite se mettre à l'anglais, les amis!
Un étrange panneau dans le métro: voulez-vous que je regarde les déchets ou que je fasse attention à ne pas les jeter n’importe où? Faut vite se mettre à la signalétique et à l’anglais, les amis!

Sans vouloir entrer dans un débat sociologique, disons que la rigidité des règles locales sur le recyclage est en étroite contradiction avec l’usage massif des emballages plastiques dont les Nippons en abusent

Au fait, le petit manuel maison laissé par M..A se contentait de rappeler les consignes de la ville de Tokyo, sans préciser de manière plus prosaïque si l’immeuble disposait de conteneurs, où ils se trouvaient, et ce qu’il fallait jeter dans chacun, selon un code de couleurs assez universel.
La mauvaise habitude de rouler à vélo sur les trottoirs fait aussi école chez les très civilisés tokyoïtes
La mauvaise habitude de rouler à vélo sur les trottoirs fait aussi école chez les très civilisés tokyoïtes
Disons que le tout était rédigé dans un anglais assez improbable, ce qui n’est pas le point fort ici, où la langue de Shakespeare est comparable au latin. En d’autres termes, une langue morte.
Quelqu'un peux m'expliquer?
Quelqu’un peux m’expliquer?
Par ailleurs -et ce sera une constante lors de ce voyage- les instructions, interdictions et autres protocoles au Japon sont communiqués tant en images, oralement ou par écrit d’une façon très japonaise, qui dénote encore et malheureusement un manque d’empathie envers le visiteur étranger qui n’est pas au courant de cette flopée de codes.
Partout, des plats préparés a emporter, un vrai bonheur! 
Partout, des plats préparés a emporter, un vrai bonheur!
Je m’explique: je crois que si l’on travaille dans l’industrie touristique il faut au moins s’informer sur les particularités des usages dans le reste du monde, afin de tisser un lien ne serait-ce que pour éviter des malentendus et pour une entente plus civilisée entre locaux et étrangers.
Pour l'accueil des touristes étrangers, il y a encore du boulot!
Pour l’accueil des touristes étrangers, il y a encore du boulot!

Dans ces années post-pandémie, le Japon a vu tripler le nombre de touristes et cela semble réjouir le JNTO

L’office national du tourisme du Japon (JNTO) assure une communication impeccable sur le pays, mais peut-être trop orientée aux Japonais eux-mêmes.

De plus, étant une société complexe et passionnante, mais aussi très policée, les habitants des villes où désormais le surtourisme fait des siennes se plaignent des manières brusques et peu civiles des « gaijin », le terme qui désigne toute personne d’ethnie non-japonaise. Souvent avec raison.
La France: un pays de cocagne pour les Japonais?
La France: un pays de cocagne pour les Japonais?

Aucun touriste voudrait voyager avec un gros manuel d’instructions…

Ceci dit, et ça vaut aussi pour bien d’autres destinations, un touriste en vacances a peu de temps à sa disposition et ne veut pas trop s’enquiquiner d’apprendre les us et coutumes du lieu. En ce sens, un pays hyper surveillé comme le Japon, qui laisse peu de marge à l’improvisation et à l’insouciance, devient forcément stressant.
Comment aurais-je supporté la terrible chaleur sans le "Mango Tango" de chez Tully's?
Comment aurais-je supporté la terrible chaleur sans le « Mango Tango » de chez Tully’s?
Une fois de plus, force est de constater que trop de réglementation tue la réglementation, et qu’un touriste finit par se lasser d’interpréter d’arrache-pied ce qui ne lui semble pas familier. Encore pire, pas compréhensible, car mal expliqué faute d’un sens de l’accueil toujours titubant et d’une maîtrise des langues étrangères proche de zéro.
Le son du français leur doit être agréable... parce que pour la sémantique on n'y est pas vraiment...
Le son du français leur doit être agréable… parce que pour la sémantique on n’y est pas vraiment…
Quant aux ordures, j’ai fait ce que j’ai pu, ce qui doit être le cas de bien d’autres personnes. Et que les voisins du quartier me pardonnent si j’ai déposé mes déchets dans leur conteneur, faute d’information sur l’emplacement de ceux de mon immeuble…
Le gros du tourisme étranger au Japon est composé de Chinois et de Coréens
Le gros du tourisme étranger au Japon est composé de Chinois et de Coréens

Un Airbnb géré par l’IA ?

S….A louait un appartement dans la partie nord-est de Shinjuku, pas trop loin de celui de M..A. Un peu plus compliqué pour la station de métro, mais plus grand et avec un beau balcon encore.
Fuyez l'été tokyoïte! Heureusement, les distributeurs de boissons sont omniprésents et offrent une grande diversité de produits, incluant thé chaud/froid, café et sodas
Fuyez l’été tokyoïte! Heureusement, les distributeurs de boissons sont omniprésents et offrent une grande diversité de produits, incluant thé chaud/froid, café et sodas
Dès la réservation, notre communication via l’application fut, pour le moins, pleine d’équivoques. Au point de me demander si, derrière ces étranges messages, se cachait l’intelligence artificielle, un traducteur automatique déglingué ou une bande de rigolos qui balançaient n’importe quoi aux pigeons qu’ils avaient capturé dans leurs filets.
Les imprimés des textiles des bus... et pas des bus scolaires!
Les imprimés des sièges des bus… un peu scolaire, non?

Dans le mois qui a précédé mon arrivée à Tokyo, j’ai reçu des infos de leur part sur:

– les chocolats au thé vert;
– un site web ou réserver des « expériences de luxe »;
– des conseils sur les usages de l’argent contant sur place;
– un site web pour réserver des restaurants avec des menus dans « ma langue maternelle » et les payer en avance;
– des conseils sur le transport des bagages, me prévenant sur le fait que S….A ne pourrait pas les garder ni avant le check-in, ni après le check-out;
– des sites web pour faciliter aux étrangers le transport en commun à Tokyo qui, selon le message traduit, peut être « compliqué et anxieux »;
– comment se vêtir au Japon en été;
– un conseil sur l’usage de Google lens pour traduire les instructions de l’électroménager dans l’appartement;
– l’eau potable;
– le sandwich aux œufs de chez Lawson.
Foujita marionette
Foujita marionette
Comme il est habituel au Japon, on m’a prévenu maintes fois que le check-in n’était disponible qu’à partir de 15h et que les codes me seraient envoyés a ce moment-là.
Je suis enfin arrivé devant l’appartement dimanche 31 août à 23:30. J’ai dû échanger une vingtaine de fois avec le système pour qu’ils m’envoient la combinaison. La situation frôlait l’absurde quand, après avoir tourné la roulette dans tous les sens, la petite porte s’ouvrit enfin.
Toutes ces représentations enfantines me laissent de marbre...
Toutes ces représentations enfantines me laissent de marbre…

Excès de zèle ou communication fumeuse?

En résumé, S….A m’avait submergé de renseignements irrelevants et m’a donné du fil à retordre pour entrer dans l’immeuble. Il était déjà minuit, j’arrivais d’un long voyage et la chaleur extérieure était intenable. Deux cerises sur le gâteau: la propreté n’était pas au top et ils avaient placé le lit juste devant le climatiseur.
Après mon tour du nord, Tokyo m’accueillait à nouveau avec les bras ouverts et l’infaillible système Japon me laissait encore voir ses défaillances. Le tout avec mille excuses pour le désagrément.
Les Japonais, savent-ils vraiment comment on vit en France?
Les Japonais, savent-ils vraiment comment on vit en France?

Au check-out, le meilleur était à venir

Une fois la clé remise dans la BAL en suivant leurs instructions, je reçois un dernier message de S….A. Après des jours de canicule, la pluie était enfin au rendez-vous. Et aussi la goutte qui fait déborder le vase. Je transcris ici leur message et ma réponse de touriste qui refuse qu’on le prenne pour un… pigeon!
Merci encore d’avoir séjourné dans notre établissement !!☺️Si vous n’avez pas encore laissé de commentaire, nous serions ravis de recevoir vos commentaires !!

Si vous avez passé un bon moment, nous vous serions reconnaissants de nous attribuer une note de satisfaction (5 étoiles★★★★★) qui encouragera l’ensemble du personnel !
Sur Airbnb, 5 étoiles★★★★★ signifie satisfait et 4 étoiles★★★★☆ signifie insatisfait.
Si vous avez 4 étoiles★★★★☆ ou moins, la publication sera suspendue😿

Merci beaucoup pour votre communication respectueuse !!
J’espère que cela vous laissera un merveilleux souvenir de voyage😊

Les konbini: ces supérettes souvent ouvertes 24h/24 et 7j/7 font le bonheur des touristes. Vive les 7 Eleven, Lawson, FamilyMart, Mini Stop et autres New Days!
Les konbini: ces supérettes souvent ouvertes 24h/24 et 7j/7 font le bonheur des touristes. Vive les 7 Eleven, Lawson, FamilyMart, Mini Stop et autres New Days!

Quand le Japon me fait sortir de mes gonds

Au diable tous les avertissements sur les impairs à ne pas commettre au Japon, voici mes réponses à ce message pour le moins impertinent:
« Comme je ne sais pas si vos messages sont rédigés par un humain ou par une machine, je ne perdrai pas trop de temps à vous répondre. Je peux seulement vous dire que le mode de communication de celui ou celle qui se fait appeler « S….A » est honteux. Un véritable déluge de messages inutiles, alors que j’avais juste besoin d’informations précises sur la façon d’ouvrir et de fermer la boîte aux lettres de l’immeuble pour récupérer la clé. Informations que je n’ai reçues que ce matin, avant de quitter l’appartement.
Je suis un samouraï en colère!
Je suis un samouraï en colère!
« Merci beaucoup pour votre communication respectueuse » est une expression regrettable. Je suis une personne instruite et je n’ai besoin de personne pour me dire comment m’exprimer.
De tous les messages que j’ai reçus, au contenu biaisé et manipulateur, le dernier est de loin le pire. Comment pouvez-vous dire à vos clients que s’ils vous donnent 5 étoiles, ils sont satisfaits, et s’ils n’en donnent que 4, ils ne le sont pas ? Pensez-vous vraiment que vos clients sont stupides ?
Trouvé devant l'entrée d'un cimetière...
Trouvé devant l’entrée d’un cimetière…
Vous affirmez aussi avec insistance que si vous n’obtenez pas la note minimale de 4 étoiles, vous supprimerez le commentaire. Je me demande si Airbnb est au courant de cette pratique mafieuse. Je contacterai donc la plateforme américaine pour les informer de la façon dont vous communiquez avec vos clients. »
Si vous me cherchez, vous allez me trouver...
Si vous me cherchez, vous allez me trouver…

Une affaire de masques, comme dans le Kabuki

Les Japonais sont-ils trop gentils et polis? La plupart du temps, je pense que la majorité d’entre eux sont simplement incapables d’être directement honnêtes. J’ai demandé a des connaissances japanophones qui m’ont confirmé que le flou de la langue japonaise facilite la dissimulation et le mensonge quand on en a envie.

Qualité, fraîcheur et présentation ultra soignée à des prix dont on rêve en Europe...
Qualité, fraîcheur et présentation ultra soignée à des prix dont on peut rêver en Europe…

Dans d’autres pays, un  » oui  » ne signifie probablement qu’un oui ou une ou deux autres significations possibles, mais ici cela se ramifie en plusieurs significations possibles qui sont assez difficiles à comprendre tout de suite.

Cela fonctionne bien auprès des Japonais, qui comprennent que « peut-être » signifie non. « Cela pourrait être difficile » signifie clairement non. Il n’y a ni tromperie ni malentendu, juste un moyen détourné d’arriver au même résultat. Mais ce système ne fonctionne pas bien en traduction. Et je comprends pourquoi les anglophones, qui aiment quand on va « droit au but » pensent être rebutés, alors qu’en réalité, l’intention des Japonais est de dire non, clairement mais poliment.

Peko-chan, icône de la marque Fujiya
Peko-chan, icône de la marque Fujiya

Une façon de communiquer fatigante et pénible

Il y a cette nuance unique que l’on trouve dans la façon dont les Japonais utilisent la langue grâce à la combinaison du langage corporel, du langage parlé et de la  » sensation  » générale de l’atmosphère qui rend la compréhension de ce qu’ils veulent vraiment dire si compliquée.

Selon mes connaissances japanophones, l’une des raisons principales pour lesquelles les Japonais travaillent de longues heures tout en étant si peu productifs c’est parce qu’ils passent trop de temps à tâtonner et à deviner de quoi ils parlent et que la plupart des décisions prennent des heures, voire des jours, à être prises.

Partout, des gachapon à collectionner. Une gaminerie de plus...
Partout, des gachapon à collectionner. Une gaminerie de trop…

Ordre, bienveillance et sécurité: les atouts du Japon moderne…

Par contre, rien ne me donne du baume au cœur que de voir dans une ville tentaculaire comme Tokyo des petits gamins seuls dans la rue. Un fait rarissime, voire inconcevable, ailleurs. Il est courant de voir de jeunes enfants aller seuls à l’école, au magasin ou au parc, dans le cadre d’une culture qui encourage l’autonomie et la confiance dans le réseau de sécurité communautaire.
Chapeau aux Japonais et à leurs infrastructures adaptées avec un système urbain conçu pour faciliter la circulation des enfants, avec des panneaux et des feux, une bonne visibilité et la participation des bénévoles et de la communauté.
Stupeur et tremblements dans ce pays fortement machiste
Stupeur et tremblements dans ce pays fortement machiste

… et le Japon archaïque, vieillissant et conformiste

Et puisqu’il faut toujours le revers de la médaille, on parle aussi d’un pays qui a permis à certains de ses hommes politiques de qualifier les femmes de « machines à faire des bébés » et de leur recommander de rester à la maison pour élever leurs enfants, comme solution parfaite au manque de crèches et de structures d’accueil pour les enfants.
Promenade fraîcheur le long de la rivière Kanda
Promenade fraîcheur le long de la rivière Kanda
Outre ce machisme structurel, le Japon enregistre aussi des décès et des troubles mentaux reconnus comme accidents du travail dus au stress (re-Nothomb). Le côté sombre de cette société réprimée est à chercher dans la forte pression sociale et des attentes qui peuvent conduire à l’isolement et à l’exclusion de ceux qui ne se conforment pas aux normes.
Si la répression politique est toujours en vigueur, notamment à l’encontre des minorités et des étrangers, toutefois, l’origine de la répression actuelle est davantage liée au manque de libertés individuelles. Sympas les cosplayers, mignonnes les filles déguisées en poupée… un peu triste par contre si l’on pense que c’est l’un des rares affranchissements qu’on leur octroie. Et la boisson. Et le shopping effréné, ça va sans dire. Partout et presque 24h/24.
Tu te payes ma pomme?
Tu te payes ma pomme?

Et moi touriste dans tout ça?

Souvent, je me suis trouvé incompris. Ou un forçat de la quête de sens. Mon grand, tu n’avais qu’à choisir une autre destination si tu voulais te la couler douce. Ou
à apprendre langue et culture japonaises. Ou, tout simplement, à ne pas te poser toutes ces questions.
A l'extérieur des temples, on peut accrocher les petits papiers de prédiction de fortune
A l’extérieur des temples, on peut accrocher les petits papiers de prédiction de fortune. Si la prédiction est bonne, on la garde, et si elle est mauvaise, on l’attache au présentoir pour conjurer le mauvais sort

J’observais les autres gaijin autour de moi et la sensation d’isolement ne cessait de croître

Ils semblaient à l’aise, peut-être parce qu’ils avaient choisi de faire « les classiques » ou « les incontournables », genre visite du sanctuaire shinto Meiji a Harajuku, traversée de Shibuya Crossing ou shopping au Donki d’Asakusa. Peut-être parce qu’ils étaient venus chercher un Japon idéalisé et que la ville leur en pourvoyait largement pour leur argent.
Inopinément, j’ai compris l’étendue planétaire du « otaku » -un mot que j’ai appris sur place et qui désigne la « culture » des bandes dessinées appelées mangas, de dessins animés nommés animes et des jeux vidéo-.
Un faible pour les dim sum...
Un faible pour les dim sum…
J’ai saisi le sens du mot « geek », ces férus d’électronique qui ratissent les magasins de deuxième main a la recherche de gadgets. J’ai connu les « arcades » et les « pachinko », ces salles de jeux vidéo hyper bruyantes. Je suis rentré dans les boutiques de collection, proposant une grande variété d’objets de merchandising, des comics aux figurines.
J’ai trouvé des poupées partout, de la miniature « cute » pour vanter n’importe quel produit, et je me suis senti dans un vortex enfantin et régressif. Je me demande encore si, à cause de la chaleur fastidieuse et accablante, je ne fais que traîner dans un Tokyo irréel, mi-cauchemar, mi-mirage.
Le soleil d'été se couche sur Shinjuku
Le soleil d’été se couche sur Shinjuku

Ce que youtubeurs, influenceurs et autres créatures du web communiquent du Japon: un condensé de clichés

Je voyais ces nouvelles générations en balade avec leurs portables à la main, du matin au soir, passant du Google maps au Google translate, le tout très utile sans doute, mais pas conforme à mon idée d’un voyage à la rencontre de l’autre, du divers.
Curry tonkatsu: tellement bon, même si ça me mène à ma perte par 38 degrés dehors!
Curry tonkatsu: tellement bon, même si ça me mène à ma perte par 38 degrés dehors!
Je cherchais à me faire surprendre, et je demandais mon chemin aux passants, quitte à attendre des plombes avant qu’ils me donnent la réponse. Je voulais constater que, même ultra-pressés, les tokyoïtes ne perdent jamais le calme, encore moins la face. Je voulais qu’ils ne détournent pas leur regard à mon passage. Je voulais apprendre d’eux la patience et la politesse. Je voulais leur faire savoir qu’un gaijin est quand-même un être humain, plein de défauts et de contradictions.
Je voulais me prouver que, derrière ces allures de professionnels bien élevés, ils n’étaient ni indifférents, ni flegmatiques, ni cyniques. Et je me suis auto-persuadé que, à chaque fois qu’ils me posaient la question, ils étaient vraiment intéressés de savoir d’où je venais.
Dans les OT, on vous demandera systématiquement votre provenance, histoire de compiler les statistiques du JNTO...
Dans les OT, on vous demandera systématiquement votre provenance, histoire de compiler les statistiques du JNTO…

Mon Japon à moi, c’est toi

J’ai un fort penchant pour ce pays, et je reviendrai, sans faute. En hiver, si possible. Je voudrais une fois encore m’asseoir pendant des heures dans un banc du parc d’Inokashira et regarder les passants. Je voudrais aussi retourner dans cette ville, dont je tiens secret le nom, que j’ai décrété comme mon endroit dans ce monde où je souhaite que l’on répande mes cendres.
Les "kokeshi" anciennes sont un objet de collection
Les « kokeshi » anciennes sont un objet de collection

Je voudrais connaître Niigata et Nagano, les joies d’un tennen onsen en plein air, ces sources d’eau chaude naturelle idéales à fréquenter par basses températures. Je voudrais goûter les oyaki, ces boulettes farcies de légumes, de fruits, ou de pâte de haricots sucrés, et ensuite rôties ou cuites à la vapeur sur une poêle en fer.

Soba chauds ou froids?
Soba chauds ou froids? J’ai adoré ceux maison préparés par la gentille proprio du Harapa café, avec un dashi (bouillon) si bon!

Et j’irai longuement papoter (via Google translate qui, d’ici là, aura fait de gros progrès en japonais) avec ce monsieur, dont je ne connais ni nom ni prénom, propriétaire d’une boutique d’articles de deuxième main dans un coin perdu de Sakata, qui m’a gentiment offert une canette de café noir (la meilleure marque que j’ai gouté durant ce séjour) quand  je lui ai montré mon passeport dont le verso affiche une carte des antipodes géographiques.

Sakata, je reviendrai
Sakata, je reviendrai

Il m’a dit, sans ambiguïté: « Merci d’etre venu d’aussi loin pour me visiter ». En fin de compte, ces énormes distances finissent par nous rapprocher.

Texte et photos de C.A.T.

 

 

 

A découvrir dans la même catégorie..

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

L'Actualité du jour