30 avril, 2024
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Amazonie: un fleuve, une forêt

A l’extrême sud de la Colombie, entre Brésil et Pérou un fleuve, une forêt : l’Amazonie.

Il est des pays, et même des paysages, dont j’ai pu deviner, à peine en avais-je atteint les portes, qu’il me sera aisé d’y entrer de «plain-pied» puis de m’y accoutumer bientôt. Il en est d’autres, tout au contraire, dont j’ai su par je ne sais quelle étrange prémonition, que je devrai me faire violence pour m’y trouver à l’aise, que je m’y sentirai quelque peu un intrus, que je devrai , en un mot , y pénétrer par effraction.


L’Amazonie est de ceux-là. Elle ne se livre pas d’un coup, au reste se livre-t-elle jamais tout à fait ? Elle joue avec une perfidie calculée de ses eaux éternellement troubles et souvent tumultueuses, de ses lianes et de ses silences, de sa moite touffeur et de ses sortilèges comme autant de pièges. Des pièges tendus entre le reste de la terre et le mystère qui est le sien, dont elle entend si bien ne pas livrer les clefs à qui les lui demande.

L’Amazonie c’est un monde à part. Celui de la démesure, ou le fleuve et la forêt qui en sont les deux composantes essentielles, rivalisent sans se lasser jamais de leurs proportions également gigantesques.
Née au Pérou d’un flanc de la Cordillère des Andes, l’Amazone aura parcouru, au moment où elle finit dans l’apothéose d’un delta immense, près de 6400 kilomètres Ses eaux drainent un bassin partagé entre le Pérou, le Venezuela, la Colombie, l’Équateur, la Bolivie et surtout le Brésil, qui représente sur la carte terrestre une tache verte dépassant les six millions de kilomètres carrés…un continent couru par les méandres de près de cinq cents affluents du grand fleuve, large par endroit de huit à douze kilomètres.


Comment une telle démesure n’engendrerait-elle pas des excès à sa taille ? Tous les excès. Ceux d’une flore impressionnante : le tronc lisse et droit des lupanas atteint fréquemment soixante mètres ; on compte plus de trois cents variétés d’orchidées, des milliers de plantes et d’étranges fleurs.


Ceux de la faune : on a dénombré cinq mille sortes de fourmis rapaces, près de deux mille familles de papillons, les poissons carnassiers pullulent et l’anaconda, monstrueux serpent aquatique peut avoisiner les dix mètres de longueur.


Ceux de la météorologie enfin : chaque jour vers trois ou quatre heures de l’après midi , un orage éclate qui prend le plus souvent une allure d’apocalypse au moment où les vapeurs d’eau distillées par le plus formidable alambic naturel de notre planète, crèvent enfin leur enveloppe et s’abattent sur l’océan de feuillage. Chauffés à blanc depuis l’aube, les arbres se donnent très fugitivement l’illusion de la fraîcheur. Les feuilles fument sous la douche mais se préparent aussitôt à fabriquer l’averse apocalyptique du lendemain.

Je pense que celui ou celle qui a survolé l’Amazonie ne pourra plus jamais chasser de sa mémoire le prodigieux spectacle qu’il lui aura été donné de voir.
Moins d’une heure plus tard après le départ de Bogota on survole la forêt. Aucuns signes avant-coureurs ne l’annoncent, sauf peut-être les nuages que les ailes de l’appareil écornent au passage et qui insensiblement se font plus ronds, plus blancs aussi. Et d’un seul coup « Elle » est là qui roule ses flots de verdure à deux mille cinq cent mètres sous les ailes, comme un océan paisible alignerait ses vagues. Seul le mot océan peut donner une idée de l’immensité sans bornes qui court vers l’horizon de toutes parts, se fond à lui, mêlant le gris bleu du ciel à son vert intense, mais ne disparaît pas.


Venus de ces horizons où se perd avec le regard toute notion géographique ordinaire, des cours déploient leurs méandres couleur de café au lait à la faveur d’un orage propice à leur lente pénétration, poussent un nouveau bras au travers de la muraille verte, ou abandonnent un coude atrophié qui n’a pas réussi sa percée, vaincu par le végétal ou par une île très éphémère, née un beau soir d’une trombe un peu plus violente qui a déménagé l’argile, morte le surlendemain.

Les roues touchent enfin la piste cahoteuse, soulèvent une gerbe d’eau sale, s’immobilisent devant un petit bâtiment : l’aérogare avec ses employés débraillés ses policiers impressionnants sous le chapeau de brousse, colt porté bas sur la cuisse.
Étonnée de son succès, Leticia, n’a pas trouvé encore le temps de se faire un visage de circonstance. Le centre de Leticia c’est le port, minuscule, à l’ancre au bas d’une rue qui descend raide vers l’Amazone. C’est ici que toutes les activités se concentrent puisque tout vient du fleuve et que tout s’en va avec lui. Large comme un bras de mer , sillonné en permanence d’embarcations en tous genres, de la barcasse motorisée à la pirogue étroite qui transporte toute une famille indienne jusqu’à la maison flottante qui cherche, au fil de l’eau un nouveau havre où planter son grappin en passant par de gros vapeurs. Le fleuve Amazone c’est à la fois les Champs- Élysées et la gare Saint-Lazare de Leticia.


C’est de là que je suis parti pour une « expédition » chez les indiens avec un de ces patrons-barcassiers du cru qui était à sa façon un tour-opérateur en puissance. Autant le dire sans plus attendre, les indiens chez lesquels abordent immanquablement ces guides improvisés, peu soucieux de se compliquer l’existence sont d’ores et déjà des autochtones de «service». Au bruit du bateau approchant leur case les hommes rassemblent en grande hâte femmes, enfants adolescents, installent l’aïeule aux seins vides dans le hamac judicieusement pendu à l’entrée de la case, vérifient le bon ordre de leur jupette de raphia et la peinture rouge de leur visage pour prendre la pose en chœur devant l’œil impatient des Leica remplacés aujourd’hui par les smart phone.
Mais finalement qu’importe ? Ces indiens, les derniers c’est plus que probable, étaient toutefois authentiques, du vêtement traditionnel à l’usage tenaces des stupéfiants à mâcher en passant par la sarbacane. Alors…


L’intérêt d’une telle randonnée tenait dans la découverte « d’en bas » cette fois de l’Amazonie. Dans la rencontre vertigineuse avec le fleuve et avec la forêt qui lui sert de prison.
Comment décrire l’indescriptible ? La sensation qui étreint l’homme soudain mis en contact avec ces cathédrales végétales, leur inquiétante pénombre, leur odeur d’humus pourrissant, les pièges devinés dans les eaux omniprésentes où il faudra parfois aller jusqu’aux épaules. L’univers fantasmagorique dont ont sans doute rêvé tous les enfants capables d’imagination après avoir refermé le livre d’une histoire à la Crusoé…


Et puis le jour qui point, la chaleur qui s’annonce, l’alambic qui se remet au travail
Au milieu du fleuve fait mer, un dauphin à peau rose exécute, dans un nuage d’eau
une cabriole de cirque. La forêt, le fleuve, le fleuve encore, la forêt. Amazonie.

Tout à l’heure viendra l’orage après viendra la nuit, puis un autre matin et un nouvel orage… Près du bateau où j’ai pris place passe une pirogue à bord de laquelle un homme et un enfant manient en cadence leur pagaie. Ils sont concentrés, mesurent leurs gestes et n’auront pas un regard pour moi, le sauvage que je suis .
Il est des pays où l’on pénètre par effraction.

Notes en marge sur mon carnet de voyages
Jacques BASCHIERI dit Vinicius

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