Ce jeudi, les ministres des Transports de l’Union européenne se sont mis d’accord sur un projet de compromis concernant la révision du règlement européen sur les droits des passagers aériens – un compromis aux conséquences catastrophiques pour des millions de voyageurs. Les grands gagnants de cette décision sont sans conteste les compagnies aériennes, qui, grâce à un coup de force de leur lobby, ont obtenu gain de cause, au détriment de leurs clients.
Un recul pour le droit des passagers aériens
« Ce n’est pas une réforme, c’est un démantèlement ciblé et massif des droits des passagers », dénonce Dr Jan-Frederik Arnold, PDG de Flightright. « Si cette version révisée devait entrer en vigueur, jusqu’à 60 % des cas d’indemnisation actuels disparaîtraient purement et simplement. S’ajouteraient à cela des restrictions supplémentaires, comme l’extension de la notion de circonstances extraordinaires et une limitation à 6 mois pour faire valoir ses droits. Le règlement sur les droits des passagers est aujourd’hui en soins intensifs. Si le Parlement ne l’arrête pas, il n’en restera bientôt plus rien. »
Des ministres qui proposent d’ignorer les passagers
Le processus ayant mené à cette issue parle de lui-même : après 16 réunions de groupes de travail sans consensus, preuve de la forte controverse sur le sujet, les ministres ont fini par valider un compromis bancal. Ce « compromis » ignore totalement les intérêts de millions de voyageurs et résulte d’un processus de décision confus et opaque. La rapidité avec laquelle cette proposition mal ficelée a été imposée illustre parfaitement comment une pression politique peut mener à des décisions sapant le cœur même de la protection des consommateurs.
Le lobby aérien a parfaitement fonctionné
Les arguments avancés pour affaiblir les droits des passagers ont été orchestrés par le lobby aérien et reposent sur des affirmations invérifiables.
La déclaration des compagnies aériennes selon laquelle les nouvelles règles entraîneraient moins de retards et d’annulations est tout simplement fausse, une manœuvre évidente visant à défendre leurs seuls intérêts économiques.
« Quand les compagnies disent que des seuils d’indemnisation plus élevés entraîneraient plus de ponctualité, c’est aussi crédible que de prétendre que moins de limitations de vitesse rendraient les routes plus sûres. À notre connaissance, aucune compagnie n’a jamais annulé un vol pour éviter de verser une indemnisation. Elles ont tout intérêt à transporter leurs passagers. La vérité, c’est qu’il s’agit uniquement d’argent, pas celui des consommateurs, mais celui des marges des compagnies. Le coût de ce règlement pour les compagnies ne représente qu’environ un euro par billet, une somme dérisoire face aux bénéfices records du secteur. Se complimenter aujourd’hui d’apporter 30 nouvelles améliorations pour les passagers relève du mensonge car la grande majorité d’entre elles étaient déjà établies par la jurisprudence ».
La version proposée par le Conseil entraîne des changements profonds et nuit gravement aux droits des passagers :
Relèvement des seuils d’indemnisation : les indemnisations ne s’appliqueraient qu’à partir de 4 heures de retard, voire 6 heures pour les vols long-courriers. Cela élimine la majorité des cas qui donnaient actuellement droit à une compensation.
Montants d’indemnisation obsolètes et réduits : depuis 20 ans, les montants n’ont pas été ajustés à l’inflation ni à l’augmentation des prix des billets. Pire encore, au lieu d’augmenter, ils seraient revus à la baisse :
Long-courriers : de 600 € à 500 €
Moyennes et courtes distances : 300 € forfaitaires, contre 250 € et 400 € précédemment
Plafonnement de l’indemnisation par voyage : même en cas de perturbations multiples lors d’une correspondance ou d’une réaffectation, une seule indemnisation pourra être réclamée.
Extension des “circonstances extraordinaires” : les nouvelles règles permettent encore plus facilement aux compagnies d’échapper à leurs obligations, y compris en cas de maladies de l’équipage, de pannes techniques ou de grèves externes.
Un chèque en blanc pour les retards
Au lieu de sanctionner les mauvaises performances, la nouvelle réglementation légitime les retards, une sorte de feu vert sans conséquence pour les compagnies.
« Cette réforme dédouane les compagnies aériennes de toute responsabilité, et abandonne les voyageurs à leur sort », alerte Arnold. « Elle affaiblit la protection des consommateurs et envoie un message catastrophique : la fiabilité et les droits des passagers sont secondaires. »