26 avril, 2024
spot_img

Pourquoi un inexorable déclin des quartiers gay ?

Les capitales et les grandes villes ont toujours été des havres de différence où, en raison du grand nombre de personnes qui y vivent, on peut toujours trouver sa place parmi ceux avec qui on partage quelque chose en commun.  Les quartiers gays se sont formés afin de fournir aux homos un lieu de soutien mutuel, de protection et de socialisation, mais sont aujourd’hui confrontés à un certain nombre de menaces pour leur survie.

Au fur et à mesure qu’ils se développaient dans les années 1970 et 80, ces quartiers comptaient sur la tolérance des résidents et des loyers bas pour maintenir leur dynamisme.  Dès la fin des années 1990, les centres-villes des capitales américaines et européennes se sont régénérés et les propriétés dans ces zones urbaines ont triplé ou quadruplé leur valeur, emmenant la gentrification et l’embourgeoisement. Les propriétaires ont succombé à la spéculation immobilière en convertissant un immeuble en appartements au lieu de continuer à louer l’espace à un bar.  En même temps, les habitudes de consommation des gens changeaient, avec une perte importante du nombre de bars et de pubs ouverts entre 2006 et 2013. 

La Libraire du Marais à Paris a dû déménager

De nos jours, beaucoup de ces quartiers arc-en-ciel sont en voie de disparition. À New York, le East Village et Chelsea montrent désormais peu de signes identitaires gay et ressemblent à n’importe quel autre arrondissement central et cher. Sur place, il y a toujours un centre LGBT et des bars, mais pas forcément orientés à un public homosexuel. Quelque chose de semblable arrive à San Francisco, Los Angeles ou en Philadelphie ; ces quartiers sont devenus beaucoup trop onéreux pour un jeune garçon ou une jeune fille qui déménage en ville afin de vivre librement sa sexualité.

On peut se réjouir que ces villages « homos » ne soient plus nécessaires, qu’il n’y ait plus besoin de s’enfuir vers « la grande ville » après avoir quitté l’école et se ghettoïser dans un quartier particulier pour trouver sécurité et acceptation.  On les regrette en même temps, parce que ces quartiers sont cool et contribuent à la diversité d’une métropole de la même manière qu’un Chinatown, un quartier juif ou un « Little Italy ».

Et en Europe, y a-t-il encore des quartiers gays comme autrefois ? C’est à dire, un quartier dont les résidents sont majoritairement homosexuels, avec des activités commerciales orientées, et dont le prix des loyers reste encore abordable pour qu’un jeune homosexuel puisse s’y installer sans devoir trouver 8 autres colocataires ? La réponse est non.

Dans les villes modernes et développées comme Paris, Madrid ou Londres, les ghettos gays ont cessé d’exister pour trois raisons : la première est qu’il n’est plus nécessaire de se réfugier dans un quartier gay parce qu’il est accepté et même cool d’aller avec son ou sa petit(e) ami(e) partout sans que personne ne vous embête. La deuxième c’est que les milléniaux entre 18 et 24 ans s’auto perçoivent comme bisexuels et que les jeunes homosexuels préfèrent se mêler aux garçons et aux filles de toute sorte ou d’orientation sexuelle que d’être retranchés dans les bars à la recherche d’une sorte d’identification et de s’assurer qu’ils sont en sécurité. Par conséquence, ils n’ont plus besoin d’un endroit spécifique affichant des signes d’appartenance pour s’y retrouver

Le Marais

La troisième raison est que les vieux quartiers gays comme Le Marais à Paris, Soho à Londres ou Chueca à Madrid sont devenus si cool que les hétérosexuels intéressés par la mode, le design, les bars et restos branchés ont commencé à les adopter eux-mêmes comme des lieux d’appartenance en raison de leur esprit tendance et avant-garde. Au fil du temps, ces endroits sont devenus incontournables pour les touristes en plan visite exotique, prenant des photos d’un sex-toy ou regardant avec une surprise exagérée les spectacles de rue des drag-queens.

Enfin, une grande partie des services de soutien social et sanitaire jadis fournis par les quartiers gays sont aujourd’hui accessibles en ligne, ce qui a réduit la nécessité d’un espace urbain dédié à l’échange de ces informations.  De même, l’essor des sites de rencontres et des applications pour smartphones a réduit la nécessité de se rendre dans un lieu spécifique afin de rencontrer d’autres personnes LGBT. Une plus grande tolérance à l’égard de l’homosexualité dans la société a réduit – bien qu’elle ne soit pas supprimée – la nécessité de zones sûres pour exprimer sa sexualité. 

Pour finir, soulignons qu’il y a aussi des défis particuliers dans certaines communautés non blanches qui peuvent être moins tolérantes à l’égard de l’homosexualité.  Le fait que les quartiers gays soient si fortement associés à la consommation d’alcool et à la fête peut avoir un effet repoussoir chez certaines communautés ethniques et aussi chez les personnes âgées.  De même, les applications de rencontres sont majoritairement destinées aux homosexuels mâles, avec beaucoup moins de plateformes pour les lesbiennes.

Tous ces changements sociaux poussés en grande partie par le modèle financier supposent une réelle menace pour les quartiers gays dans leur forme actuelle.  Pourtant, ils ont encore un rôle crucial à jouer : l’homophobie n’a pas disparue et la création de nouveaux espaces urbains sûrs est toujours d’actualité.

C.A.T.

A découvrir dans la même catégorie..

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

L'Actualité du jour