27 avril, 2024
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Grèce : souvenirs d’une soirée à Delphes

Le temple d’Egine, seul sur la colline et la mer entre les pins, le temple de Bassae, égaré par les siècles dans la montagne, l’attente silencieuse du théâtre d’Epidaure, la sérénité d’Olympie et Apollon défiant le destin…

…A Delphes souvenirs d’une soirée

La Grèce est sans doute le seul pays au monde où l’architecture est le plus intimement accordée au paysage : La terre ici porte les maisons des Dieux construites de main d’homme comme elle porte ses fruits quand elle est cultivée.

Le temps qui a dépouillé les grecs de leur gloire n’a pu détruire cet accord intime. Ce serait-il arrêté ?

En traversant un village je vois des hommes assis devant leur porte sur une chaise ou plutôt sur deux chaises ; il en faut bien une de plus pour soutenir les pieds. Ils semblaient plongés dans une somnolence minérale. En repassant le soir je les ai retrouvés tels que je les avais vus le matin à croire qu’ils n’avaient pas pris la peine de se déplacer pour déjeuner. Mais lorsque les rayons du soleil déclinant éclairent de leurs feux les vieilles pierres, les corps s’animent, les visages s’éveillent. Gestes, regards, paroles, tout devient mobile, volubile. La calme mer Égée parfois se déchaîne en des tempêtes soudaines ; ainsi les hommes. Chez les plus frustres les yeux pétillent d’intelligence. La vivacité, l’audace spirituelle qui jadis apprivoisèrent les Dieux sont toujours là même si elles ne servent plus qu’à préserver un certain art de vivre. Cet art d’ailleurs est tout en spontanéité. Il suffit de demander son chemin à un paysan ce qui est souvent nécessaire car après avoir quitté les grandes routes on ne trouve plus aucun panneau indicateur ; un sourire l’illumine, comme si vous lui faisiez un honneur insigne et il se lance dans des explications auxquelles vous ne comprenez rien. Mais qu’à cela ne tienne, il vous accompagne volontiers pour peu que vous le lui demandiez.

Le grec est manifestement le plus doué qui soit pour vivre en société. Mises à part les guerres civiles qu’il affectionne depuis les guerres du Péloponnèse et qui ne sont peut-être que des accès de fièvre de cette passion sociale. Pour lui le plaisir de l’homme c’est l’homme et il le lui prouve généreusement.

Sur les gradins du théâtre de Delphes j’avais lié conversation avec des étudiants américains qui étaient là pour apprendre le grec et trouvaient fort agréable le fait de travailler leur vocabulaire en un lieu qui avait entendu clamer les malheurs d’Oreste. Ils m’avaient donné l’adresse d’une de ces tavernes que les touristes ignorent et qui n’en ont plus de charme. Le soir venu je la cherchais et ne la trouvais pas. Je suis entré dans une boutique pour me renseigner ; « C’est à cinquante mètres » me dit le marchand, il me la montre, je le remercie mais il ne s’en tient pas là : Il m’y conduit, m’installe, me recommande au patron et me prie de l’excuser car il doit aller fermer sa boutique et promet de revenir car c’est là qu’il dîne. Il est revenu accompagné de sa femme alors que j’attaquais les hors d’œuvre. Je leur ai offert à boire. Assis à ma table il s’inquiéta du plat que je désirais manger, me donna de judicieux conseils et tout en buvant commanda pour lui sa femme et pour moi…

Oliviers à Delphes

…Et il me raconta sa vie : Son père possédait cent cinquante oliviers et un troupeau de moutons que dans son enfance il menait dans la montagne, il avait lui, le magasin de tapis, lainages, colifichets que j’avais vu plus une boulangerie. Il était marié depuis six mois, sa femme attendait un enfant etc…

… Les confidences furent interrompues par un des étudiants américains qui se trouvaient à une table voisine et qui m’avaient salué à mon arrivée comme de vieux copains. Celui -ci mit une guitare entre les bras du marchand qui tout de suite joua et chanta. Les américains lui donnèrent la réplique avec de vieux airs du Far West interprétés par une de leurs camarades étudiantes en art dramatique dont la voix cristalline était faite pour saluer l’aurore aux doigts de rose sur une oliveraie d’Ulysse aussi bien que sur La Grande Prairie.

Je me sentais dans une éternité, dans l’éternelle jeunesse du monde.

L’heure tournait cependant. Je demandai l’addition, le patron refusa de me la présenter : c’était mon marchand poète qui m’avait invité.

Je l’emmenai alors avec sa femme dans une autre taverne où je savais que parfois des grecs dansaient. Deux garçons en effet dansaient le sirtaki entre les tables au tempo d’un bouzouki joué par un don Juan de village qu’entouraient trois ou quatre suédoises béates d’admiration.

Le lendemain je suis allé rendre visite à Andreas, le marchand. J’ai vu dans la rue le don Juan bouzoukiste en uniforme, occupé à régler la circulation : il était gendarme à ses moments perdus. Andreas m’offrit le café ainsi que la coutume l’exige, et comme j’ai eu l’imprudence de lui demander où trouver ces délicieuses pâtisseries nommées baklavas, il sauta dans sa voiture en dépit de mes protestations et m’en rapporta.

Je ne pouvais pas quitter sa boutique sans lui acheter quelque chose. Il se récria :

C’était gênant, nous étions des amis, comment pourrait-il me dire un prix ? (on sait que le prix marqué n’est qu’une base de départ pour une chose sacrée : le marchandage). Il n’avait pas envie de me vendre quoi que ce fut, je n’avais non plus pas tellement envie d’acheter. J’avisai enfin un chandail qui ne me plaisait qu’à moitié et dont je n’avais nul besoin. Il a bien voulu me dire un prix, j’ai marchandé un peu par devoir, pour la forme afin de sacrifier au rituel et ne le payais que cent drachmes de plus qu’il ne valait.

Ce n’était pas pour lui une brillante affaire. Pour moi ce n’était pas payer cher le simple bonheur d’une soirée à Delphes.

Notes en marge sur mon carnet de voyages

Jacques BASCHIERI dit Vinicius

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4 Commentaires

  1. Quel beau texte !
    Je me prends a rêver que la France s’inspire de cette hospitalité méditerranéenne et orientale.. Oui en Grèce, comme au Liban, en Perse, en Jordanie, en Syrie, à Chypre.. Le plaisir des gens passent vraiment par les gens.. L’Humain au cœur de tout. a cela m’est souvent arrivé aussi que l’on ne se contente pas de m’indiquer mon chemin mais que l’on m’accompagne pour me mettre dans la bonne direction.
    Merveilleuse Delphes.. Merci Jacques

  2. Merci Jacques pour se si beau carnet de voyages. Pour moi, Delphes est le nombril du monde, je me rappelle d’un déjeuner succulent dégusté sur une minuscule terrasse qui dominait une mer d’oliviers et… mais c’est une autre histoire. Je conserve la tienne !

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