25 avril, 2024
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Sélection littéraire : El Sur de Jorge Luis Borges

El Sur est une nouvelle de l’écrivain argentin Jorge Luis Borges, initialement publiée en 1953 dans le journal local La Nación et en 1956 dans le livre Artificios, deuxième volet du recueil traduit en français sous le nom de Fictions.

Dans le prologue du volume, Borges lui-même dit qu’El Sur est peut-être « sa meilleure histoire ». En effet, l’écrivain exprime sa grande inclination pour la nouvelle, non seulement en raison des nombreux traits autobiographiques, mais aussi parce qu’elle réussit à combiner plusieurs de ses thèmes de prédilection : le rêve, le destin, le temps et la mort du personnage. On dit également que ce fut la dernière histoire que Borges rédigea à la main, avant de devenir aveugle

Jorge Luis Borges

Borges aimait et pratiquait lui-même le fantastique en littérature, un genre qui ne répond qu’aux lois internes du récit. Souvent, il poursuit un ordre dans la cohérence d’un récit qui est indépendant de la réflexion réelle, car la littérature fantastique construit des mondes hypothétiques basés sur le pouvoir de l’imagination sans limites imposée par l’esthétique représentative ou mimétique.

Le titre de la nouvelle nous renvoie déjà à son contre-espace -le Nord-, d’où il ressort que le Sud est la représentation de l’ignorance et le Nord, celle de la culture. L’histoire est construite sur une série de paires d’opposés qui partent à leur tour de la dichotomie centrale entre civilisation et barbarie, signalant deux conceptions du monde qui se croisent dans le texte sur ce qu’on pourrait appeler « l’argentinité », un syncrétisme de qualités et de défauts nés de l’affrontement entre la civilisation (Europe) et la barbarie (Amérique) chez l’homme natif de la pampa.

Le personnage central est Juan Dahlmann, habitant de Buenos Aires et secrétaire dans une bibliothèque municipale qui, après avoir survécu à une septicémie dans un hôpital, part en convalescence dans une estancia qu’il a réussi à sauver des incursions des indigènes dans le sud du pays (le lieu n’est pas mentionné, mais tout semble indiquer qu’il s’agit de la Patagonie), ayant appartenu à la famille Florès du côté de sa mère. Au début du récit, son ascendance est décrite : « Son grand-père maternel était ce Francisco Flores, de la 2e ligne d’infanterie, mort à la frontière de Buenos Aires, mené par des Indiens de Catriel ; dans la discorde de ses deux lignages, Juan Dahlmann (peut-être sous l’impulsion du sang germanique) a choisi celui de cet ancêtre romantique ».

Il y a sans doute une dimension autobiographique qu’il convient de souligner, car Dahlmann présente de nombreuses similitudes avec Borges lui-même. Le grand-père paternel de Dahlmann, Johannes, est arrivé d’Allemagne à Buenos Aires en 1871 et est pasteur de l’église évangélique. Chez Borges, en revanche, convergent le sang anglais, du côté de sa mère, et le créole de la famille de son père. Son grand-père, Francisco Borges, fut colonel pendant les guerres civiles qui suivirent l’indépendance de l’Argentine, et son petit-fils écrivain exalte dans plus d’une nouvelle ce passé patricien de sa famille, dans lequel il retrouve un culte du courage qu’il dit lui-même ne pas posséder et néanmoins admirer.

Le fantasme de Dahlmann déploie également le thème du gaucho, récurrent chez Borges. Le personnage revient sur un passé mythique en Argentine et rencontre une scène chargée de motifs folkloriques dans laquelle il meurt dans un duel au couteau. Cette mort – imaginée à l’hôpital – est le dernier recours dont dispose Dahlmann pour s’inscrire dans cet illustre passé où l’histoire de sa famille se mêle à l’histoire de la République naissante.

L’écrivain a explicitement reconnu cette lecture possible : « Tout ce qui se passe après que Dahlmann quitte l’hôpital peut être interprété comme une hallucination au moment de sa mort par septicémie, comme une vision fantastique de la façon dont il aurait voulu mourir ». Cependant, malgré cette reconnaissance et cette affirmation, les critiques se sont toujours en partie méfiés des explications de Borges sur ses propres histoires, celles-ci étant souvent chargées d’ironie et de jeux de sens. Dans le cas d’El Sur, il est évident qu’il y a un enchevêtrement de sens que l’on ne peut tout simplement considérer comme un « rêve fantastique ».

À vous maintenant de les découvrir !

C.A.T.

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