26 avril, 2024
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Sélection littéraire : Une semaine de vacances de Christine Angot

En octobre dernier, l’écrivaine française Christine Angot a reçu le prix Médicis pour son roman Le Voyage dans l’Est, un récit des abus sexuels dont elle aurait été victime de la part de son père. Une thématique qu’elle avait déjà abordée dans L’inceste, le roman qui la rendit célèbre à sa sortie en 1999, Pourquoi le Brésil ? (2002), Une semaine de vacances (2012) et aussi dans Un amour impossible (2015). Angot a toujours refusé que son œuvre soit qualifiée d’autofiction, préférant qu’on parle d’un mélange de confessionnel et de fiction, d’un style qui met à l’épreuve les rapports entre la vérité et la fiction en s’interrogeant justement sur le rapport entre l’écrivain et la réalité.

Depuis la publication de L’inceste, elle est devenue une des figures majeures et médiatiques de la nouvelle scène littéraire française. C’est aussi à travers son refus des étiquettes, ses controverses, ses coups d’éclat face à la classe politique et ses interventions à la télévision qu’elle se fait connaître du grand public, notamment comme chroniqueuse dans l’émission On n’est pas couché de Laurent Ruquier. Au-delà de ces provocations qui alimentent le tollé médiatique et attisent les critiques les plus furibondes, il est toujours intéressant d’examiner son projet littéraire construit d’une manière peu orthodoxe.

Christine Angot

Pour les psychanalystes (surtout les lacaniens), le « sujet » Angot fournit un formidable cas d’étude ; non Christine Angot elle-même, sinon son double littéraire. Autant agressive qu’assujettie au désir, c’est sa condition de personne-personnage aliénée qui structure la plupart de ses récits, qui sont très inquiétants et très noirs. Tant dans ses écrits qu’en personnage médiatique, on sent que la « folie » d’Angot peut la faire basculer à tout moment dans une violence incontrôlable.

Aux critiques littéraires et autres vrais et pseudos intellos, elle inspire autant que répulsion que d’envie. Une sorte d’admiration non-avouée face à l’audace de celle qui se présente tantôt comme une écorchée vive, tantôt comme une éternelle incomprise, fascinés devant la ténacité de la figure publique d’une femme écrivain qui ne recule devant rien. Pour les lecteurs curieux et avides de nouveautés que nous sommes, l’approche de ces romans est une tentation voyeuriste, une expérience de la souffrance et de l’extrême racontée de manière sèche, souvent cruelle. Toutefois efficace, grâce à ce filtre, -souvent indéfinissable et source de toute création- qui est l’écriture narrative de fiction.

Dans l’un des nombreux entretiens qu’elle donna suite à la publication d’Une semaine de vacances, l’écrivaine a déclaré : « Je n’ai jamais parlé de ce qui m’est arrivé avec mon père. Tout ce que j’ai raconté se situe dans ce lieu protégé qui est la littérature, qui n’a rien à voir avec l’espace social ». Peut-être que protection n’est pas le mot qui définit le mieux ce roman, parce que tout y est explicite et nu. En fait, il s’agit d’une description détaillée d’activités sexuelles dans lesquelles le père apparaît comme un prédateur et la jeune femme comme une proie. Les scènes, angoissantes et implacables pour le lecteur, occupent la quasi-totalité du bref récit.

Pornographique ? Pas vraiment. Dans chacun de ses romans, Angot fixe un cap et des notions bien précises : le bien, le mal, un véritable sens de la morale. L’histoire de l’inceste, décrite sans cesse, par différents procédés littéraires, révèle une blessure intime, fondatrice, impossible à ignorer.

En outre, Angot a souvent déclaré qu’elle ne souscrit pas à l’idéologie féministe, mais qu’elle cherche à provoquer chez le lecteur un rejet de l’inceste comme forme de domination. « Dans presque tous mes romans, une situation de ce type apparaît. Et ma façon de le décrire n’est pas invasive. Je ne montre pas la pensée de la personne dominée, ce qui m’intéresse c’est que le lecteur perçoit cette domination à travers l’écriture, développe un sentiment de solidarité pour la fille et éprouve une profonde antipathie envers l’homme ».

Cette explication montre pourquoi en 2012 Angot a rejeté le prix Sade. C’est ainsi qu’elle justifie son approche : « En tant que narratrice, je n’ai pas eu besoin d’être complice de ce qui se passe dans le livre et je suis très heureuse de l’avoir écrit. Il est vrai que ce roman n’offre pas de plaisir érotique, mais j’espère que le lecteur aura le plaisir de la vérité ».

Une semaine de vacances est une confrontation brutale de l’écrivain avec la réalité. Sans complaisance, précise, impitoyable. Une expérience littéraire qui donne aux mots toute leur puissance explicative et figurative, plutôt que de s’en servir pour recouvrir et voiler.

C.A.T.

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