26 avril, 2024
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Les Açores : au bout du Monde mais encore en Europe

Notre ami poète et écrivain, Jacques Baschieri, nous livre sa vision des Açores. Comme toujours, le texte est sublime. Les Açores accueillent les amateurs de sports, de nature, d’observation des oiseaux, les amateurs de golf et tous ceux qui aiment faire de longues promenades, entourées de vert et de bleu. Les amateurs d’art et de culture ne sont pas oubliés. La cuisine portugaise (traditionnelle et raffinée) est bien présente. Les Açores peuvent être une très agréable surprise pour les voyageurs blasés.

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Au fond de sa conque feutrée d’herbes, un lac ouvre son œil limpide sous de gros sourcils de basalte. Les mouettes se posent sur sa rive.

Des maisons basses font le gros dos, se serrent, s’étayent pour faire front aux rafales qui effilochent de gros nuages livides au-dessus de l’océan moutonnant.

L’odeur pénétrante des térébinthes, des gommes, poisse l’air moite sous la retombée des palmes.

La brume a envahi la route, brouillant les contours, assourdissant les bruits et soudain, homme et cheval, fantômes passent proches à nous frôler dans un grand fracas : c’est le laitier avec ses bidons de fer qui descend des pâturages.

Il suffit d’un brusque revers du vent capricieux et ceux-ci apparaissent, d’un vert intense quadrillés par les haies d’hortensias.

Tout cela a tenu en une seule journée, mêlant les paysages d’Auvergne et de Bretagne, la lande écossaise aux jardins tropicaux.

Mais il a suffi que fuse entre les rocs le jet d’eau bleue d’un geyser, que l’âcre odeur du soufre trouble la fraîche haleine du village, le point est vite fait : au cœur même de l’Atlantique, ce sont les Açores.

Longtemps ignorées !

Ce sont des îles lointaines pendant longtemps ignorées et dont personne ne s’est accordé sur leur origine : fragments d’une Atlantide engloutie ou témoignages épars d’une terre mal refroidie qui s’agite dans les profondeurs marines et, parfois, s’éveille en sursaut. Sur « l’Atlas Médicis » de 1351, on signalait déjà ces îles, si mal connues qu’on les nommait simplement « Îles de la Mer » sans en savoir le nombre ni l’emplacement, dont on croyait même qu’elles apparaissaient et disparaissaient derrière des écrans de vapeurs.

statue de Gonçalo Velho Cabral

Un repère et une escale

Rendez-vous idéal de toutes les légendes bretonnes ou arabes, si tenaces et troublantes que l’Infant Henri le Navigateur, esprit cependant lucide qui prétendait « avoir sur toute chose la certitude manifeste », y envoie un moine-soldat pour les désenchanter, c’est-à-dire briser leur sortilège. Gonçalo Velho Cabral y parvient, avec l’aide de Notre Dame et c’est pourquoi il appelle la première île abordée en 1432, Santa Maria. Ainsi que ses sœurs, elles sont neuf qui s’étirent sur six cents kilomètres d’océan, elle est déserte. Le roc affleure sous l’humus épais de cendres et de laves érodées qui tapissent un relief capricieux, et sur lequel ont germé les graines portées par les vents et et les oiseaux migrateurs. Semées entre l’Ancien et le Nouveau Monde, les Açores offrent à ceux-ci un repère et une escale, ce qu’elles deviendront plus tard pour les premières traversées aériennes transatlantiques.

Ces anciens volcans

Sur le doux sein des cratères assoupis ou le farouche chaos des rocs de lave, des ailes ont toujours tournoyé : tapage des goélands qui font leur nid dans les pores des anciens volcans, escadrilles triangulaires des migrations, ou vol immobile des rapaces, ces « milhafres » ou busards qui donnèrent à l’archipel leur nom portugais. Et, plus que celui du Christ qui, à S. Miguel fait des miracles, ou de Notre Dame qui triompha de l’envoûtement des îles, c’est le culte du Saint Esprit, de la colombe divine qui domine l’archipel.

La troisième île

A Terceira, la troisième île découverte, si l’on trouve, comme partout dans l’archipel, de belles églises blanches toutes décorées de volutes et d’arabesques de lave noire, on découvre aussi, au bord des routes, de singuliers petits pavillons bariolés, qui sont les “théâtre du St. Esprit”. A la Pentecôte, on y voit converger des carrioles bâchées de percale brodée, pour accueillir l’Impérador, couronné et sceptre en main en tête du cortège. C’est généralement un vieillard, souvent des plus pauvres, et il va présider une kermesse à la flamande, où l’on distribuera jusqu’à quatre mille pains et autant de litres de vin, tandis que bout la demi-tonne de viande de la “soupe du St. Esprit”.

Cette brève débauche, cette ripaille, ce défoulement d’un peuple frugal et besogneux, peut surprendre, autant que les joyaux qui couvrent le Saint Christ des Miracles, dont les poignets sont liés d’un cordon de perles rares, la couronne d’épines de diamant, l’auréole de vermeil et d’émeraudes, splendeur engloutie dans la pénombre de sa chapelle dont il ne sort, en pompe triomphale, que pour la procession du cinquième dimanche après Pâques. Le peuple alors accourt pour l’implorer et interroger son visage qui promet, soit une bonne, soit une mauvaise année pour les bergers perdus dans les brumes, les paysans et les vignerons, et les pêcheurs attentifs au passage des bans de poissons ou des troupeaux de cachalots.

Les baleinières sont oubliées

C’est aux Açores et aux Açores seulement qu’à la fin du XXème siècle on capturait encore au harpon ces gigantesques proies. Nuit et jour, les vigies étaient à l’affût, et dès qu’on apercevait à l’horizon le tumulte des eaux surmontées du panache vaporeux qu’exhalent les cétacés, on faisait éclater une bombe, les hommes se ruaient vers leurs baleinières effilées qui filaient sous le vent et, en approchant, abattaient leurs voiles et naviguaient en silence, jusqu’à ce qu’on puisse brandir et lancer le harpon. Alors commençait “la corrida de la mer” qui rougissait les vagues et se prolongeait en un combat serré, entre la bête à l’agonie et les hommes qu’elle entraînait parfois pendant des kilomètres dans le remous de ses soubresauts. Des tonnes d’huiles et de graisse précieuses dont le spermaceti qui sert de base aux plus fins cosmétiques. C’était une des richesses de Faïal en particulier. Le dernier cachalot a été harponné aux Açores en 1987.

Une multitude de plantations

Les Açores ont connu des fortunes changeantes : tout leur est donné et repris, rien n’est stable. Il y eut « le temps des oranges » auquel a succédé celui des ananas d’abord cultivés comme plantes d’ornement par les riches amateurs de jardins du XIXème siècle. Ces derniers étaient allés même à acclimater presque toutes les espèces du monde faisant voisiner le cana sauvage avec les essences les plus rares comme le gingko biloba survivant d’une ère depuis longtemps disparue. Il y eut « le temps du vin » lorsque les vignes courageusement plantées au bord des vagues sur la lave éteinte du Pico ont donné un vin sec et fruité que les tsars de Russie envoyaient chercher par pleines barriques. L’Oïdium a ravagé les vignobles. Il y eut les beaux jours de la marine à voiles, ceux de la grande pêche baleinière, ceux des Clippers et des bases aériennes alliées.

L’Açoréen endure ces imprévisibles hasards avec une dignité résignée. Il n’a dans les veines que du sang d’Europe : mêlé de flamand, de breton, de portugais du nord et du sud, celui aussi de quelques condamnés à mort et de quelques corsaires. Il a souvent défendu sa terre mais ne l’a conquise que sur les éléments et ceux-ci sont fantasques et redoutables.

Les sources bouillonnantes

A S.Miguel au cœur d’un village aux tons pastels, la terre apparaît éclatée, on voit bouillonner une chaudière infernale qui lance de la vapeur brûlante, ou bien une boue fiévreuse fermente à grosses bulles, ou bien une source froide ruisselle à vingt centimètres d’une source bouillante que les paysannes puisent pour leur lessive après avoir enterré leur marmite dans la tourbe chaude pour cuire leur soupe. Les eaux des vingt-deux sources thermales peuvent guérir toutes les maladies et la chaleur qui couve sous le parc enchanté de Furnas y fait bouillonner des massifs géants d’azalées et de fougères. A Pico, dominé par un cône japonais que l’hiver enneige, la « côte cruelle » est creusée de gouffres mugissants, comme Flores, où l’on dégringole d’interminables escaliers qui mènent à des abîmes de ténèbres.

Île de Faïal en face de la côte !

En 1957 une éruption sous-marine fit émerger un atoll à un kilomètre du rivage de Faïal. Les cendres ont englouti le phare et un village de baleiniers. Mais comme le drame s’était déroulé lentement on avait pu reculer autant qu’il était possible quand on est cerné de toutes parts par l’océan et pendant deux ans on put assister à un des drames qui jalonnent l’histoire de notre planète. Jamais un volcan ne pût être observé d’aussi près par des spécialistes accourus pour prendre sa température sous le regard amusé des gens de l’île qui venaient pique-niquer en famille sur la lave encore chaude. Faïal s’est ainsi augmentée de quelques arpents de terre de scories que l’on appelle « mister ». Mais des roseaux l’ont envahi puis se sont épanouis des hortensias qui ont donné à Faïal le surnom d’île bleue.

Le dernier refuge d’Europe

Ce qui est étrange dans cet archipel qui rappelle à la fois tant d’autres lieux du monde, c’est qu’il est demeuré profondément original ne serait-ce que par sa pureté préservée et la sérénité presque poignante de ses paysages.

Ce n’est pas « l’oasis du bonheur » promise par la légende car la vie quotidienne y est rude, adoucie d’une poésie qui s’exhale, en sa mélancolie aussi naturellement que les senteurs balsamiques des aiguilles de cèdre dont on couvre le sol des chaumières ou des pétales déposés en fragiles mosaïques sous les pas des processions.

Tandis que des cyclones tournoient alentour dans un ciel d’Apocalypse, on voit soudainement les nuages se déchirer enjambés par des arcs en ciel éblouissants et multipliés dans une lumière de premier jour du monde.

Les Açores, c’est le dernier refuge d’Europe pour ceux qui croient aux îles et sont dignes de leur envoûtante et vulnérable solitude.

Jacques Baschieri dit “Vinicius”

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1 COMMENTAIRE

  1. Mistertravel colle à l’actualité !
    SATA, Azores airlines assurera une liaison directe France ( CDG) Ponta Delgada dès Juin 2021…
    Merci à toi serge ….

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