16 avril, 2024
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La fâcheuse décadence de New York

Fran Lebowitz est fâchée et nous aussi. En colère, car on assiste impuissants à l’irréversible dégradation de la qualité de vie dans le milieu urbain.

Le documentaire de Martin Scorsese sur l’écrivaine, critique d’art et journaliste nord-américaine Fran Lebowitz est l’une des bonnes trouvailles du bouquet Netflix de ce mois de janvier. Peu connue en France, car aucune de ses œuvres a, à ce jour, été traduite, le titre même du documentaire pose des problèmes de traduction. La version française Fran Lebowitz : si c’était une ville rappelle, non sans un certain effroi, le roman autobiographique de l’écrivain italien Primo Lévi Si c’est un homme, sur les terribles conditions de vie dans le camp de concentration d’Auschwitz. Le titre en anglais, Pretend it’s a city, contient en fait la puissance concentrée de la pensée de Lebowitz, drôle et perçante, anticonformiste et merveilleusement ironique.

« Faisons comme si c’était une ville », joue non seulement sur le va-et-vient de questions-réponses entre les deux amis, Scorsese et Lebowitz, devant la maquette de la ville de New York qui se trouve au musée du Queens, mais aussi sur le contenu critique des observations de l’écrivaine : faisons comme si c’était une mégalopole à la hauteur de sa réputation, avec des services à la hauteur du prix de son mètre carré. Evidemment, la réponse est non. New York cumule les vices des administrations cyniques trop centrées sur le profit et pas assez sur le citoyen, des gestions municipales plus préoccupées de la recette fiscale que du contrôle du trafic, un point qui fait exaspérer Lebowitz. Tout comme le non-respect du code du bon piéton, ces règles tacites du comportement social sur le trottoir, méconnues par les foules des touristes qui les empruntent 365 jours par an.

Parmi les figures géométriques, il est indéniable que Lebowitz aime le carré. Dans son dandysme à la Oscar Wilde, elle porte des vêtements masculins carrés d’épaules ; puis, elle aime les plaques de bronze sur les trottoirs et bichonne tout particulièrement le petit livre -quadrangulaire- que sa mère lui a offert quand elle était très jeune. Prémisses d’une passion pour les librairies et pour l’art qui la poursuivra le reste de sa vie.

Parmi les figures de style, Scorsese choisi le format interview ; elles sont réalisées soit dans les vieux théâtres, soit dans les intérieurs feutrés des institutions culturelles patinées par le temps, avec ces bars aux aires de cercles littéraires du début du XXe siècle. Le metteur en scène privilégie les plans serrés sur la protagoniste où on ne le voit pas, lui, optant plutôt pour le rôle de l’ami complice, du témoin d’un New York révolu que tous les deux ont connu. Une ville où soufflait un air de grande créativité et de liberté dans les années 1970, délabrée et insalubre, mais porté par le dynamisme d’une jeunesse qui rêvait d’une société moins conservatrice.

Pour ne pas rester lost in translation (référence au film de Sofia Coppola, fille de Francis Ford, l’autre pointure italo-américaine du cinéma d’auteur), rappelons que le style argumentatif de Lebowitz doit beaucoup à l’humour juif newyorkais pratiqué par un Woody Allen, avec cette touche très personnelle du wit anglosaxon : la phrase choc, courte et ingénieuse qui va droit au but, un mélange d’astuce et de sensibilité dans ses notes lucides sur la réalité sociale, souvent absurde et contradictoire. Lebowitz a le panache d’une battante, à mille lieux des critiques désabusées et mièvres du politiquement correct rabâché par les nouvelles générations, milléniales et woke (les nouveaux « éveillés » à la conscience sociale), entre autres.

Lebowitz déclare ne pas aimer voyager pour se détendre : si elle se déplace, c’est pour le travail, pour gagner de l’argent qu’elle dépensera ensuite dans sa ville, qu’elle ne trouve pas aussi belle que Paris ou Florence, mais qu’elle aime profondément sans trop comprendre pourquoi. Une New York trop pleine de gens qui la visitent et qui gênent ceux qui, comme elle, doivent la conquérir au quotidien. Ne serait-ce que par le grand effort qui représente trouver un pressing près de chez soi.

Fran Lebowitz déteste Times Square et nous aussi. La ville qui ne dort jamais mérite une « maire de nuit » comme elle, avec des vraies lumières. Pas les néons ringards des publicités sur Broadway et la 42ème rue.

C.A.T.

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2 Commentaires

  1. Excelente análisis,de una persona tan singular como Lebowitz, que tiene acotaciones que nos hace pensar que no todo es UP.
    Si bien no vale hablar de decadente,pero si pensar los cambios.

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