26 avril, 2024
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Secrets et trésors de la Grèce Byzantine

J’avais un refrain en moi, bien accroché qui tournait presque à l’obsession à la manière de ces rengaines une fois entendues, une fois murmurées et dont on arrive plus à se défaire : ” Sainte Montagne…Montagne des Anges…Porte du ciel…Tibet de l’Occident”.

Pensée impie ! comment peut-on parler de chansonnette à la porte du Mont Athos ?

La vue de deux vieux moines vêtus d’une longue robe de serge grise m’a ramené dans le droit chemin. Ils étaient assis sagement à la porte d’une taverne et buvaient lentement, gravement, en connaisseurs, le verre d’eau que leur avait offert le patron ; c’est la règle dans toute la Grèce où l’on se fait un devoir, un plaisir et même parfois un honneur de vous rafraîchir gratuitement avant de vous demander, et encore pas toujours, ce qu’il vous plairait de boire.

Comme moi ils attendaient un caïque pour le mont Athos et il n’y en a pas tous les jours. Ainsi eux et moi étions-nous livrés au bout de la route d’Ouranoupolis au jeu du soleil, de l’ombre et du temps qui ne compte pas.  Ouranoupolis, littéralement : la ville d’Ouranos (le Ciel) qu’aux premiers temps du monde Eros (l’Amour) avait uni à Gaïa (la Terre) afin de procréer les Titans, les Titanides, trois Cyclopes et les monstres aux Cent Bras, qui furent à l’origine des Dieux et de leurs multiples aventures rapportées par la mythologie.

Ouranoupolis

Ouranoupolis: une cinquantaine d’habitants, des canisses tendues le long de la plage pour abriter les joueurs de cartes, une jetée d’opérette pour quatre bateaux…

Ici un monde semblait se boucler et un autre commencer : La fin du panthéisme amorçait la chrétienté. A l’ombre d’une tour carrée trois “remailleurs” de filets endormis et un marchand de brochettes odorantes, il y avait l’invisible frontière du Mont Athos que nul douanier ne surveille car les routes n’existent pas dans cette république de moines que le rempart de la foi tient à l’abri des surprises.

Consacré depuis plus de mille ans au culte de la Vierge Marie, le Mont Athos ne saurait admettre sur ses terres une présence féminine. C’est ainsi depuis la Bulle que Constantin Monomaque rendit publique en 1060 : “…Ni femelle, ni enfant, ni eunuque, ni visage lisse…”

Conséquence de quoi, il n’y a là-bas ni vache, ni brebis, ni poule, ni autre animal aux humeurs “impures” susceptibles de troubler le caractère virginal de l’endroit.

“Sainte Montagne…Montagne des Anges…Porte du Ciel…Tibet de l’occident”. J’y étais et tout me paraissait infiniment plus fabuleux que je l’avais imaginé. Deux dauphins nageant dans l’écume du caïque nous escortaient le long de la côte où s’accrochent des monastères qui ressemblent à des petites villes. Dochiariou, avec ses bulbes vers et rouges. Xénophon, Saint Pantéléimon. Le minuscule port de Daphni d’où un sentier grimpe jusqu’à la capitale Karyès. La formidable forteresse de Simon Pétra perchée sur un pic accessible par une arche lancée sur le vide. Un peu plus loin Dionysos qui lui ressemble un peu donnant sur la mer. Et, entre les deux, comme une falaise bleue et rose battue par les vagues, découpée, toute en avancées de balcons suspendus, en redents, en jardins abrités, coupoles sang de bœuf, bastions potagers, allées de cyprès et larges escaliers descendant jusqu’à l’abri naturel juste assez large pour une barque : l’ensemble de Grégoriou gardé par un evzone à la retraite.

Ce ne sont pas les plus importants de tous les monastères. Il y en a d’autres sur la côte opposée notamment la fantastique Grande Lavra. En tout une vingtaine qui restent sur les quarante de la grande période occupés alors par un millier de moines chacun.

Combien y en a-t-il encore ? Chiffre difficile à déterminer, car si certains se tiennent dans leurs couvents comme les cénobites et idiorythmes,   les autres sont pratiquement insaisissables : sarabaïtes réunis en petites communautés, pauvres gyrovaques perpétuellement en marche vivant de la charité des autres couvents, les errants hésychastes, les akimites qui ne dorment jamais et puis surtout, invisibles dans leur trou ou leur grotte nichée à flanc de falaise, ces hommes hors du monde, hors d’eux-mêmes, volontairement soustraits à tous les contacts afin de ne jamais interrompre leur tête à tête avec Dieu, les anachorètes dont la foi nous glace et dont on apprend la mort que lorsque le panier à provisions qu’un frère leur fait parvenir de temps en temps au bout d’une corde revient intact.

photo Rick Findler

Il parait qu’il y a encore dans certaines cellules des fouets, des chemises de fer, des cilices, des bracelets armés de pointes utilisés en souvenir des instruments de la Passion, dans le but de mortification qui rapprocherait du Christ les utilisateurs.

Un moine m’a dit : “oui frère nous souffrons beaucoup ici. Mais les tortures que nous nous infligeons n’ont rien à voir avec les théories masochistes. Nous cherchons à transformer nos corps pour l’amour de Dieu, afin que la lumière divine les pénètre”. A côté de cela, le quota quotidien de huit heures de prières, mille prosternations obligatoires et cent chapelets égrenés ne sont que la nourriture courante de la foi.

Trésors spirituels, trésors matériels, ceux-là aussi sont inestimables, incommensurables mêmes. Accumulés depuis des siècles dans les bibliothèques des monastères, tous n’ont pas encore été tirés de la poussière où ils ont fait naufrage. Quelques pièces de taille émergent cependant : Le manuscrit de géographie de Ptolémée, le traité de botanique de Dioscoride, Le lexique manuscrit de saint Cyrille d’Alexandrie, des manuscrits hébreux, des textes de Grégoire de Nazianze, les fables d’Ésope mises en vers coliambiques par Babrius et bien d’autres encore. Certains affirment que l’inventaire systématique du Mont Athos donnerait un choc aux chercheurs. N’a-t-on pas cru y voir des écrits d’Aristote, d’hésiode, de Pindare, Démosthène, Aristophane dont la connaissance serait capitale.

On sait qu’au moment de la ruine de l’Empire les scoliastes byzantins confièrent à la Sainte Montagne maints document de la plus haute provenance afin de les soustraire aux guerres et à la destruction. Ainsi le Mont Athos serait le dernier dépositaire de Byzance et par là même l’expression de l’épopée byzantine.

Jacques BASCHIERI dit VINICIUS

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