24 avril, 2024
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Un livre passionnant sur dix ans d’initiation en Chine

PASSAGÈRE DU SILENCE – FABIENNE VERDIER

Je vous invite à découvrir un récit extraordinaire, celui de la peintre Fabienne Verdier qui en 1983, âgée de vingt et un ans quitte tout, pour aller chercher seule, au fin fond de la Chine communiste, les secrets de l’art antique Chinois.

À seize ans Fabienne Verdier annonce à sa mère qu’elle consacrera sa vie à la peinture. Elle quitte son école catholique sa mère et ses sœurs, pour rejoindre un père artiste fantasque qui vit cloitré dans une grande ferme des Pyrénées. Elle devient apprentie peintre-ouvrière !

À Toulouse elle rejoint l’Ecole des Beaux-Arts. L’enseignement est décevant. On n’étudie plus les grands maîtres, mais c’est la dernière école où l’on peut étudier la calligraphie, occidentale bien sûr. Commence à s’ancrer en elle que dans l’art calligraphique se profilait un art de vivre. Son professeur lui conseille de regarder vers l’art asiatique. Pour Fabienne Verdier ce fut l’éblouissement. Une force tellurique la pousse à s’envoler pour la Chine. Toulouse vient de se jumeler avec Chongqing, une province du Sichuan.

Elle obtient une bourse Chinoise et s’envole en 1983 vers le pays des lettrés, des peintres et du raffinement. Son voyage pour Pékin, via Karachi, est un cauchemar, une tragédie.  L’Asie n’est pas du tout ce dont elle avait rêvé. Après six jours d’un voyage en train depuis Pékin, elle débarque à Chongqing : ville triste, sale, grouillante d’une foule crasseuse. L’école des Beaux-Arts ressemble plus à un camp de prisonniers qu’à une université. Deux mille étudiants tentent de survivre dans la crasse et la sous-alimentation.

Fabienne Verdier – Photo JYD – Gomet – https://gomet.net

Le Parti Communiste contrôle tout. Fabienne Verdier est la première étrangère à fréquenter cette université si loin de Pékin. Tous les grands Maîtres ont été chassés de l’université par la Révolution Culturelle.  Mais Fabienne Verdier va y apprendre à tenir un pinceau, à peindre à la verticale, à broyer l’encre sur la pierre mouillée, à choisir les papiers. Elle ose mettre en cause l’enseignement qu’on lui dispense quand le Parti lui refuse l’accès aux gravures anciennes qui ont échappé à la Révolution Culturelle.

Les étudiants travaillent 11 heures par jour dans d’inhumaines conditions. Pendant six mois personne ne lui adressera la parole, un panneau sur sa porte l’interdit. Elle l’arrache. Une nouvelle vie commence. Elle va fréquenter une maison de thé, en fait un tripot, où des vieillards après dix années de révolution culturelle vont lui faire comprendre ce qu’est une tragédie.

A l’université de Chongqing il ne reste plus qu’un seul étudiant qui pratique en cachette la calligraphie. Ils deviennent amis. Elle le questionne elle veut rencontrer un Maître. Dans une tour sordide Maître Huang Yan la reçoit, mais il ne veut plus enseigner. Elle sait qu’il lui faudra être patiente. Pendant six mois elle ira déposer devant la porte de Maitre Huang Yuan ses rouleaux de feuilles calligraphiées. Un jour le Maitre l’accueille au seuil de son taudis : « Tu mérites d’être enseignée, il faut officialiser nos rapports, mais si tu commences avec moi c’est dix ans d’apprentissage à mes côtés sinon rien ». Fabienne devra apprendre l’art de la gravure puis pendant des mois ne tracer que des traits horizontaux. Un jour enfin son trait horizontal fut parfait, elle étudia avec son Maître l’ancienne peinture chinoise des paysages. « La peinture chinoise n’est pas comme en occident une représentation de la réalité qui nous entoure. La ressemblance ne nous intéresse pas ; elle est pour le vulgaire ». La peinture chinoise est une peinture de l’esprit. Du néant et de l’obscur jaillit la lumière.

Mont Emei

La crémation d’un mort replonge notre jeune peintre dans la réalité de la surpopulation : « Un numéro, une place, la queue et on passait à un autre corps. Plus d’humanité, la multitude fait de vous un simple numéro ». Fabienne Verdier contracte une hépatite qu’elle trainera pendant près de 5 mois. Elle pense mourir mais la pharmacopée chinoise sauvera son foie. De retour à l’université elle constate que la propagande politique est plus importante que la diffusion de la culture chinoise. Fabienne Verdier va poursuivre son initiation avec Maitre Huang Yuan en voyageant. D’abord le Tibet, aux monastères perdus et aux fresques inconnues, aux minorités oubliées. Une autre année au Mont Emei. Voyage initiatique ponctué de longues journées de marche en montagne pour purifier le corps et l’esprit.  Son Maitre lui enseigne qu’il faut apprendre, puis oublier pour retrouver le naturel. Pour maitriser la calligraphie et la peinture chinoise Françoise Verdier devra en connaitre l’esprit. Un jour ils croisent un ermite qui lit dans les lignes de la main : « Tu vivras de ta peinture ».  Ce long pèlerinage avec Maitre Huang Yuan restera sa plus belle expérience en Chine.

Six années sont passées. Juin 89 son diplôme en poche une grande exposition de ses œuvres est programmée à l’université de Chongqing. Une foule considérable se presse, son travail est reconnu. Mais à Pékin la situation est grave les chars font face aux étudiants Place Tia-nan-men. Retour en catastrophe en France. Mais son histoire avec la Chine continue…

La lecture de ce récit passionnant nous interroge. Comment une jeune femme a pu supporter pendant six années une existence aussi difficile ?   Fabienne Verdier répond que : « la qualité d’une œuvre ne tient pas aux qualités innées de son créateur, mais réside dans la persévérance, la volonté à poursuivre ». 

Aujourd’hui Fabienne Verdier peint la grande musique du monde, juste dans un éclat de bourgeon.

De cette expérience unique est née un récit fascinant et extraordinaire. À découvrir impérativement.

Passagère du Silence- Fabienne Verdier – Le livre de poche- 311 pages ou édition Albin Michel

Jean-François Colonna

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