19 avril, 2024
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Le Royaume d’Emmanuel Carrère : quel livre !

« Non, je ne crois pas que Jésus soit ressuscité. Je ne crois pas qu’un homme soit revenu d’entre les morts. Seulement, qu’on puisse le croire, et de l’avoir cru moi-même, cela m’intrigue, cela me fascine, cela me trouble, cela me bouleverse […]. J’écris ce livre pour ne pas me figurer que j’en sais plus long, ne le croyant plus, que ceux qui le croient et que moi-même quand je le croyais. J’écris ce livre pour ne pas abonder dans mon sens. »

     Quel livre ! Une enquête de 600 pages sur les premiers pas de la chrétienté de 50 à 80 après JC autour de deux témoins. Paul et Luc. Travail d’enquêteur et non d’historien car Carrère ne se contente pas de relater des faits, il les imagine quand les sources manquent, prend régulièrement partie. Il a cru, trois années,  au cœur d’une dépression, d’une foi de bigot,  allant à la messe matin et soir. Une conversion addictive que Carrère raconte dans une première partie intitulée « une crise ». C’est long, nombriliste, pour l’auteur une simple mise à nu.

    Vous pouvez débuter votre lecture à partir du chapitre 2 : Paul, à la page 139.

     Pour mener son enquête, Carrère utilise la bonne vieille méthode des romanciers. Prendre deux personnages que tout oppose. Paul, juif, mauvais rabbin, radical, qui pourchassait les premiers chrétiens. Luc médecin lettré, savant hellénisé, qui pense que la vérité a toujours un pied dans le camp adverse. Carrère a travaillé sept années pour écrire ce grand livre qui est l’œuvre d’un véritable exégète, qui s’appuie souvent sur l’œuvre de Renan « La Vie de Jésus » ou sur « La Guerre des Juifs » de Flavius Josèphe. Paul, dont les deux tiers des épitres, sont d’authentiques témoignages de celui qui fondera l’église à un moment où les Juifs hésitent à croire à l’incroyable mais où l’idée d’une fin du monde prochaine fait école. Paul, chaste, vierge, écrit dans une épitre aux Romains : La loi c’est fini. Depuis que Jésus est venu, elle ne sert plus à rien. Les Juifs qui s’y raccrochent montrent leur surdité et dans le pire des cas leur mauvaise volonté. En d’autre temps de nouveaux radicaux reconnaitront pour seule loi celle de leur religion et non celle de la République.

Emmanuel Carrère brosse un portrait de Paul, aux antipodes du brave Saint Paul des catéchismes catholiques. Il est laid, malade, refuse toute hiérarchie, exige l’obéissance sans murmure car il détient son pouvoir du messie qui l’a appelé quand il était en route pour Damas pour arrêter des Chrétiens. Paul, fondamentaliste violent quand il déclare « même si un Ange venait vous dire autre chose que ce je vous ai dit, il ne faudra pas le croire ». Pire quand il attaque la raison contre la sagesse des Philosophes «  La folie de Dieu et plus sage que la sagesse des hommes ». C’est cet homme qui construira l’église des chrétiens.

Dans un pays colonisé par les Romains Paul est-il un rebelle contre l’occupant ? Que nenni. Quand des nationalistes juifs se soulèvent pour ne plus payer l’impôt Paul est très ferme : Il faut payer car ceux qu’ils le perçoivent sont chargés par Dieu de remplir cet office ». Donald Trump reprendra à son compte cette maxime pour justifier sa décision de fermeture des frontières aux migrants. Carrère nous entraine dans les luttes de pouvoir comme au début du communisme soviétique, entre la maison mère, Jérusalem, et les nouveaux venus qui n’ont pas connu le Christ.

Emmanuel Carrère

     L’enquête sur la rédaction des évangiles censés être la parole de Dieu est passionnante avec la découverte de Q (Quelle : source en Allemand), une première source qui pourrait expliquer tous les passages des évangiles de Luc et Matthieu qui ne reprennent pas ceux de Marc.  

     Carrère l’agnostique, se pose la question sur la fortune future d’une religion qu’il fait renaitre sous sa plume. Quelque chose qui ne séduit pas, mais qui sidère. Il est en effet incroyable de croire depuis deux mille ans dans l’histoire d’un juif, né d’une vierge, ressuscité le 3ème jour après avoir été crucifié et qui viendra juger les vivants et les morts.

     Emmanuel Carrère convoque au long de six cents pages, maints personnages pour une reconstitution grandiose des premiers pas de l’église qu’il éclaire de son érudition, de sa réflexion, de son ironie.

     Une œuvre unique.

     Jean-François Colonna – Avril 2021

     Le Royaume – Emmanuel Carrère – Folio  605 pages

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