29 mars, 2024
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Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud

Dans L’Étranger, le chef d’œuvre de Camus écrit en 1942, le héros, Meursault, tue un Arabe sur une plage d’Alger. Meursault sera condamné, mais pas directement pour ce crime, à peine évoqué lors de son procès mais parce qu’il n’a pas pleuré à l’enterrement de sa mère. La Société condamne ceux qui ne pensent pas comme elle. On ne connaitra jamais le nom de la victime simplement désigné vingt-cinq fois par le terme d’Arabe.

Comme un hommage à Camus, Kamel Daoud va donner une suite au roman de Camus, en offrant une identité à « l’Arabe » de L’Étranger.

 Daoud joue carte sur table en détournant dès l’ouverture de son roman l’incipit célèbre de Camus :« Aujourd’hui maman est morte » par : « Aujourd’hui M,ma est encore vivante ».

Malicieusement Kamel Daoud attribue l’écriture de L’Étranger, non à Camus, mais à Meursault, qui l’aurait écrit à sa sortie de prison. Comme s’il s’agissait d’un fait-divers réel, Kamel Daoud contamine la fiction de Camus. Son héros est aussi absurde que celui du Prix Nobel, tous les deux confrontés à l’absurdité de la vie.

Le livre de Kamel Daoud, dérange. Nous avions lu L’Étranger comme une parabole philosophique et non comme un possible fait divers. Si Camus ne désignait la victime que sous le vocable d’Arabe c’était volontairement. Le héros, L’Étranger, c’était Meursault, étranger aux autres, étranger à la société.  Lors de son procès, le juge d’instruction, l’avocat, le procureur, le prêtre tous ces représentants de la Société condamneront Meursault à mort, pour ne pas penser comme la Société l’exige.  Ce « petit bouquin » avait eu un succès planétaire et avait conduit son auteur au Prix Nobel de littérature. Et voilà qu’un écrivain Algérien, par jeu et par amour pour Camus, s’empare du roman et porte la lumière sur la victime : l’Arabe. Kamel Daoud par son narrateur démystifie la parabole en un simple crime, celle d’un colon Français qui tue un Arabe. L’Étranger serait l’œuvre « d’un   amant déçu par une terre qu’il ne peut posséder » et qui est allé jusqu’à confisquer l’identité de la victime. « On ne tue pas facilement un homme quand il a un prénom et ensuite personne ne s’inquiète de l’Arabe, de sa famille, de son peuple, le procès a préféré juger un homme qui ne pleure pas la mort de sa mère plutôt qu’un homme qui a tué un Arabe ».

Kamel Daoud dans ce roman intelligent donne la parole aux opprimés de la colonisation à ceux qui ne possédaient pas la langue du colonisateur.

À l’avenir il nous faudra lire Meursault contre-enquête et L’Etranger tel un dyptique.

 Jean- François Colonna juin 2021

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