19 avril, 2024
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Une destination, une chanson : Mamadou m’a dit de François Béranger

François Béranger faisait partie de ces chanteurs que l’on appelle « engagés », au même titre qu’un Ferré, un Ferrat ou un Mouloudji. Sans doute, il mérite intégrer ce célèbre panthéon par la qualité de ses textes, très poétiques, et par la démarche artistique qu’il mena tout au long de sa carrière, profil bas et complétement en dehors du show-biz.

D’ailleurs, il est difficile de retrouver des archives visuelles du chanteur libertaire, très peu enclin à des apparitions publiques au-delà des salles de concert et des festivals. Des titres comme Tranche de vie, Natacha ou Tous ces mots terribles le classent parmi les compositeurs interprètes les plus doués de sa génération, celle de l’effervescence de l’après soixante-huit. Et même si, en 1976, il s’est produit sur les plateaux la « Fête de l’Huma » comme un Lavilliers ou un Renaud le feront quelques années plus tard, Béranger était à mille lieux de l’image du rockeur macho syndicalisé et plus proche du chroniqueur social à la Brassens.

De nous jours, la fameuse « sensibilité de gauche » affichée sans complexe par certains artistes francophones ressemble à une boîte de Pandore où chacun puise dans les archives plus ou moins sombres des révoltes ouvrières, de la nostalgie de la militance révolutionnaire et du socialisme revu et corrigé par les années post-Mitterrand. A l’heure d’Instagram, même les déclarations les plus réac’ d’un Mélenchon passent pour des revendications justes et nécessaires. Face à ce suicide idéologique, il est grand temps de replacer les textes politiques de Béranger dans leur contexte historique afin qu’il ne continue pas à chanter dans le désert.

Mamadou m’a dit est un texte inspiré par le vécu de Mamadou Konté, un immigré malien arrivé en Europe en 1965 dans la soute d’un bateau qui faisait la liaison entre Abidjan et Marseille. Parti de rien, Konté a œuvré toute sa vie pour la reconnaissance de la musique africaine dans le monde, au point d’être considéré aujourd’hui comme le précurseur de la world music en France. En 1976, Mamadou organise un premier concert en soutien pour l’amélioration des conditions de vie dans les foyers d’immigrants africains et, en 1978, il inaugure le festival Africa Fête à l’hippodrome de Pantin avec l’appui des « engagés » Béranger, Lavilliers et Nougaro, pour faire découvrir la musique africaine à un large public.

Lorsqu’il quitta à dix-sept ans sa terre natale, imaginait-il que son action en France prendrait une telle ampleur ? L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a fait souffler le vent de la diversité et fit de Konté une figure emblématique de l’ère Mitterrand. En 1985, il rencontre Salif Keita, avec lequel il produit Soro, un album culte de la musique africaine. Il s’associé ensuite à Chris Blackwell, le fondateur du label Island (Bob Marley), en accompagnant à partir de 1986 toutes les stars montantes de la musique africaine, comme Angélique Kidjo, Baaba Maal, ou Youssou Ndour. En 1993, son festival passe par Dakar, puis s’exporte aux Etats-Unis, suivi de grandes tournées annuelles qui seront les plateformes pour lancer d’autres artistes comme Oumou Sangaré, Papa Wemba ou Femi Kuti.

A partir de 1998, le festival connaît des difficultés financières, mais, peu avant le décès de Konté en 2007, sa proche collaboratrice le relance à Marseille en assurant sa continuité. En termes d’échanges culturels, le plaidoyer fraternel de Béranger pour cet immigré clandestin reste donc toujours d’actualité.

C.A.T.

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