29 mars, 2024
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Garota de Ipanema de Vinicius de Moraes

Cap sur Rio de Janeiro pour le Carnaval ; un cliché direz-vous, encore un marronnier. C’est vrai, je l’avoue, je vais tenter de me faire pardonner avec le choix de la chanson : exit les ringardises chauvines à la Luis Mariano, bienvenue l’indémodable bossa nova.

La garota en question, classe 1962, est fille de deux célèbres cariocas, le parolier et interprète Vinicius de Moraes et le compositeur Antônio (Tom) Carlos Jobim, connue également en dehors des frontières brésiliennes sous la version jazzy en anglais de Joao Gilberto et de sa femme Astrud Gilberto accompagnés au saxo par l’américain Stan Getz. Elle n’a rien d’une fille naturelle, rassurez-vous, plutôt le fruit du talent à la guitare de Jobim, cofondateur de la bossa nova, et de Vinicius de Moraes, le diplomate et charmeur bohème connu, entre autres, pour ses dons de poète hédoniste et pour son amour immodéré des femmes et du whisky.

C’est justement dans un bar proche de la plage d’Ipanema, où Vinicius et Jobim avaient leurs habitudes, qu’ils auraient vu passer la très jeune muse inspiratrice des belles paroles. On ne compte plus le nombre de versions dans toutes les langues, d’arrangements et de chanteurs et chanteuses qui ont rendu hommage à ce petit bijou musical dont toute la puissance se trouve justement dans la description en toute simplicité d’une scène de rue. Et, afin de lui rendre toute son essence, il faut des voix suaves et sensuelles, tel un balancement de hanches insouciant et quelque peu indolent, pour l’interpréter.

Vinicius lui-même faisait ses shows au Brésil et ses tournées internationales accompagné de Toquinho, son guitariste fétiche, et d’une chanteuse, car il trouvait que son texte se prêtait bien à un dialogue entre un homme et une femme. Les brésiliennes Miucha, Elis Regina, Maria Creuza entre autres, ont chanté à ses côtés, tout comme l’italienne Ornella Vanoni. « Ah, pourquoi suis-je si seul(e) ? Ah, pourquoi tout est si triste, ah, la beauté elle existe, la beauté qui n’est pas seulement mienne, qui passe aussi toute seule ». Dans l’un de ses derniers shows à l’Olympia, l’exubérant Vinicius s’est adressé au public en faisant une déclaration qui a fait frémir les féministes et provoqué un tollé dans l’opinion publique : « Que les moches me pardonnent, mais la beauté est fondamentale chez la femme ».

Caetano Veloso, un autre chanteur-compositeur brésilien de renommée internationale, composa en 1982 le titre Lingua (Langue) qu’il chantera ensuite à coté d’Elza Soarez, une gloire de la samba traditionnelle. Il s’agit d’un hommage au portugais du Brésil, avec plein de références culturelles à l’héritage lusitain et aux détournements de la langue « originale » en territoire latinoaméricain. « Si vous avez une idée incroyable, il vaut mieux en faire une chanson. Il est prouvé qu’il est seulement possible de philosopher en allemand », dit Veloso. Cela vaut pour la Garota de Ipanema et ses réflexions sur la beauté et la solitude ? Voyons cela.

Au fond, cette chanson n’aborde pas les sujets ni de l’esthétique, ni de la métaphysique, mais plutôt de la phénoménologie. Ça parle de la perception sous le soleil qui, comme on le sait par les lois de la physique et de l’optique, génère des distorsions sur les surfaces qu’il reflète. Les éléments subjectifs de nos concepts empiriques sont de deux espèces ; les uns sont dans les objets de l’expérience, en tant que ces objets sont sentis, les autres en tant qu’ils sont pensés. La fille au corps doré par le soleil d’Ipanema est un pur objet de désir, un produit de la passion du poète, pas un raisonnement. La garota, qui est une femme réelle vivant à Rio appelée Helô Pinheiro et qui croisa une fois à l’âge de 17 ans le regard de Vinicius, incarne le mirage en bikini version balnéaire, cette expérience sensorielle qui peut être même comprise et ressentie par un Eskimo écoutant la chanson. Et là, on est plus proches d’un Ronsard, d’un Du Bellay, que d’un Husserl ou d’un Lévi-Strauss et de ses tristes tropiques.

C.A.T.

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2 Commentaires

  1. extrait de mon livre “chroniques de la saudade” ( à paraître prochainement) …
    -“Au début des années soixante des musiciens brésiliens jouent au Carnegie Hall de New York, présent dans la salle, le saxophoniste Stan Getz retrouve les musiciens dans les coulisses et très vite une collaboration entre lui et Joào Gilberto est envisagée. Cela va donner deux ans plus tard le disque le plus célèbre de la “bossa-jazz” jamais enregistré, Getz/Gilberto. Les standards y sont subtilement revisités par le sax ténor « cool » de Getz, et la femme de Gilberto, Astrud, y chante de sa voix faussement détachée ce qui va devenir le morceau emblématique de bossa, repris on ne compte plus les fois dans le monde, The girl from Ipanema ( a garota de Ipanema). Incontournable, je suis sur que vous le connaissez mais vous allez sûrement l’entendre tout à l’heure au templo da bossa-nova.
    Merci à la rédaction d’avoir choisi la bossa nova pour parler de Rio dont le célèbre carnaval dans ses explosions de samba n’aura encore pas lieu cette année…Le sambadrome pleure dans les camarotes vides…
    tristeza que nào tem fim…
    félicidade sim
    imperdivel, inesquecivel…inoubliable !

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