19 avril, 2024
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Un pays sous les projecteurs : Cuba et le musèlement des dissidents

Dimanche 14 novembre, le dramaturge et opposant cubain Yunior García Aguilera a été empêché par le gouvernement cubain de sortir de chez lui, détenu au secret et gardé par de nombreux agents de la sécurité de l’État en civil. L’activiste avait prévu de traverser le centre de La Havane à pied dans ce qui se voulait un avant-goût des manifestations convoquées pour lundi 15 dans tout le pays, appelant à un changement politique. L’attente pour la marche du 15 novembre, qui coïncide avec l’annonce officielle de la réouverture du pays après près de 20 mois de pandémie de COVID-19, s’était accrue dans ces derniers jours.

Pour éviter une éventuelle répression contre les manifestants -comme ce fut le cas le 11 juillet dernier-, l’opposant avait déclaré qu’il se promènerait ce dimanche seul et en silence à trois heures de l’après-midi à travers l’avenue centrale de La Havane et jusqu’à l’emblématique Malecón, comme un acte de responsabilité et non d’héroïsme.

Selon le dramaturge de 39 ans, les autorités l’avaient prévenu la veille qu’il irait en prison le même dimanche s’il décidait de sortir seul, vêtu de blanc avec une fleur à la main. Jusqu’en 2020, García Aguilera était considéré par les dirigeants du pays comme l’un des artistes les plus prometteurs du mouvement culturel local. Aujourd’hui, son nom et son visage juvénile apparaissent à la télévision et dans les médias officiels comme ceux d’un ennemi de la révolution.

Le dramaturge a monté plusieurs pièces de théâtre et sa compagnie Trébol Teatro était l’une des plus en vue jusqu’au 27 novembre 2020, date à laquelle il est devenu l’un des porte-parole parmi une centaine de créateurs qui ont manifesté à La Havane devant le ministère de la Culture, réclamant un dialogue avec les autorités et un espace libre pour l’art sans le contrôle du gouvernement.

García Aguilera a une fois de plus défié le gouvernement en publiant sur sa plateforme de débats virtuels Archipiélago un appel pour marcher le 15 novembre contre la violence, pour la libération des soi-disant « prisonniers politiques » et la résolution des différends par des moyens démocratiques et pacifiques. Le 15N est l’héritier des manifestations spontanées du 11 juillet, les plus importantes depuis des décennies, résultat du mécontentement face à la grave crise économique – qui a entraîné pénuries, files d’attente et inflation – en raison de la pandémie, de la résurgence des sanctions américaines et de la mauvaise gestion macroéconomique.

Cependant, le gouvernement cubain continue d’attribuer ces problèmes à l’embargo financier et commercial des États-Unis, durci sous la précédente administration de Donald Trump. Rappelons qu’à Cuba, les droits de grève et de manifestation sont rarement envisagés en dehors des institutions étatiques et une marche d’opposants au gouvernement n’a jamais été autorisée.

Voici une courte sélection de films, cubains et étrangers, pour se faire une idée de la situation sociale et culturelle dans l’île :

Sept jours à La Havane (2012). Plusieurs réalisateurs, dont les français Laurent Cantet et Gaspar Noé, mais aussi Benicio Del Toro, Julio Medem, Elia Suleiman, Juan Carlos Tabio et Pablo Trapero. Une œuvre collective composée de sept courts métrages indépendants mais qui, dans l’ensemble, fournissent une fresque de la vie quotidienne dans la capitale cubaine en évitant, tant bien que mal, les clichés pro et anti révolutionnaires. Il se glisse néanmoins une critique subtile de la bureaucratie politique, les problèmes d’approvisionnement alimentaire et l’homophobie qui bat encore dans la société cubaine.

Affiche

Avant la nuit (2000). Film américain de Julian Schnable sur la figure de l’écrivain cubain Reinaldo Arenas, dont l’histoire est devenue la cas témoin de la persécution d’opposants et homosexuels par le régime castriste. Né et élevé dans un milieu rural pauvre, Arenas a embrassé très tôt la cause révolutionnaire mais, à cause de son choix sexuel, il fut obligé à quitter l’île lors du fameux exode des « Mariel » et mourut à 47 ans lors de son exil aux États-Unis. En 1987, Arenas apprend qu’il est atteint du sida. En 1990, après avoir lutté contre la maladie, il met fin à ses jours en absorbant un mélange d’alcool et de médicaments. Il laisse une lettre destinée à être publiée : « En raison de mon état de santé et de la terrible dépression qu’elle me cause du fait de mon incapacité à continuer à écrire et lutter pour la liberté de Cuba, je mets fin à ma vie […] je veux encourager le peuple Cubain, dans l’île comme à l’extérieur, à continuer le combat pour la liberté. […] Cuba sera libérée. Je le suis déjà. »

Fraise et chocolat (1993). Un long-métrage de Juan Carlos Tabio et Tomás Gutierrez Alea. Le grand succès du cinéma cubain des années 90 : une histoire d’amitié entre un jeune étudiant, absolument convaincu de sa mission révolutionnaire, et un garçon homosexuel qui doit cacher, non seulement ses choix, mais également ses préoccupations artistiques. Il s’agit d’un film écrit et réalisé par deux noms clé du cinéma révolutionnaire cubain qui se veut une critique sincère et honnête de plusieurs aspects non encore résolus dans ce pays socialiste. Son succès international et sa lecture des relations culturelles avec l’Occident « impérialiste » lui ont permis d’être candidat aux Oscars.

Mémoires du sous-développement (1968). Un autre long-métrage de Tomás Gutierrez Alea. Ni le meilleur ni le plus populaire, mais sûrement le film qui soulève le plus précisément questions et paradoxes qui se sont posés à la Révolution cubaine entre une partie de la population. Le portrait d’un bourgeois qui décide de rester dans le pays et expérimente dans sa propre chair les changements qui ont été annoncés. Un film riche et complexe, encore étudié de nous jours à la fois pour son audace stylistique et pour ses dialogues ambigus et provocateurs.

C.A.T.

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