Cette aventurière née à Riga, en Lettonie, était la fille d’émigrants juifs installés à Boston dès la fin du XIXe siècle. Connue comme Annie Londonderry, le nom de la marque du sponsor de son tour du monde et plus facile à retenir que le sien, elle part de Boston pour New York sur un vélo de femme à pignon fixe et vêtue d’une robe longue afin de gagner un pari de 10 000 dollars et, par la même occasion, relever le défi de montrer aux hommes que les femmes pouvaient être aussi courageuses qu’eux.
L’histoire du pari de l’intrépide cycliste nord-américaine est surprenant, en particulier à une époque où les femmes n’ont pas encore acquis le droit de vote et jouissent de peu de liberté. La pratique du vélo était désormais devenue populaire et contribua, non seulement à leur émancipation, mais aussi aux projets de voyages de plus en plus ambitieux. Entre réalité et légende, on raconte qu’un jour du mois de juin 1894, Annie lança son défi devant les marches du palais du gouvernement de l’Etat du Massachussetts en pariant 20 000 dollars contre 10 000 qu’une femme pouvait accomplir un tel périple et se débrouiller toute seule en terres étrangères.
La Londonderry Lithia Spring Water Company, une entreprise locale qui commercialise de l’eau de source, lui apporte son soutien financier à condition qu’elle porte le panneau publicitaire sur son vélo et fasse la promotion de la société. La nouvelle Annie Londonderry laisse derrière elle mari et trois enfants et débute son tour par l’étape Boston-New York où elle change d’équipement en se procurant un vélo masculin plus léger et maniable et une culotte féminine d’athlétisme, ce que lui vaut pas mal de critiques misogynes.
Elle accomplit la deuxième étape du tour, New York-Chicago, en songeant à continuer vers l’ouest, mais est obligée de changer d’itinéraire à l’approche de l’hiver et face à la difficulté de traverser les montagnes du centre du pays. Elle revient donc sur ses pas et s’embarque sur un bateau pour Le Havre, d’où elle poursuivra vers Paris et Marseille, avant de prendre un autre bateau pour Alexandrie, en Egypte. Des nouvelles critiques l’assaillent, car ses détracteurs l’accusent de faire un tour du monde « avec » un vélo et pas « sur » un vélo, passant plus de temps dans les transports que sur la selle.
Les étapes suivantes sont Colombo, Singapour, Saigon, Hong Kong, Shanghai et Nagasaki d’où elle embarque pour San Francisco. De retour aux USA, la cycliste poursuit sa course vers Los Angeles, traverse l’Arizona et le Nouveau Mexique et atteint finalement Chicago le 12 septembre 1895, quinze mois après son départ.
Pendant son périple en terre américaine, elle donne des conférences payantes et finit par s’installer à New York avec sa famille, où elle écrit des récits de voyage pour la presse locale en signant ses papiers « The new woman », en tant que porte-drapeau d’un élan féministe en avance sur son temps. Un journal de l’époque affirmait qu’elle était devenue une experte en communication ainsi qu’une agence de publicité ambulante, car tant son vélo que ses vêtements étaient sponsorisés par une marque différente à chaque étape. Une sorte d’influencer avant la lettre, elle vendait son merchandising et monnayait ses interviews tout en exhibant ses produits.
Annie Londonderry a également façonné sa propre mythologie avec de récits d’aventures souvent inventés, de ceux qu’on aime lire dans les romans. Elle affirmait avoir chassé des tigres de Bengale en Inde ou avoir été blessé par balle pendant qu’elle traversait le front de la guerre sino-japonaise. Son exploit tant sportif que fictionnel est raconté par son arrière petit-neveu dans une biographie intitulée Around the world on two wheels : Annie Londonderry’s extraordinary ride. On peut également consulter le site web qui lui est consacré : www.annielondonderry.com
C.A.T.
Romanesque