26 avril, 2024
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Une destination, une chanson : Nantes de Barbara

Je ne connais pas Nantes. Pourtant, ça a toujours été à portée de main, après tant d’années de vie parisienne et beaucoup d’allers-retours dans le Médoc, lorsque j’habitais à mi-temps chez mon ex. La faute à la Gare Montparnasse et à la rive gauche. Moi, qui suis strictement rive droite, habitué des gares du Nord et de l’Est, pestais à chaque fois que je devais me taper les 15 stations de la ligne 4 qui me séparaient du TGV Atlantique. Pas la peine de râler contre la RATP ou la SNCF, après tout, je n’avais qu’à déménager. « L’amour ne fait pas tourner le monde, mais il rend le voyage intéressant » disait Sean Connery. Et dieu sait s’il était futé le plus Bond des agents secrets.

Je ne sais même pas si Nantes se trouve en Bretagne ou en Loire-Atlantique ; à mon avis, la France recèle pas mal de mystères avec toutes ces divisions territoriales et ces étranges numéros de départements, ce qui se traduit dans une grande ignorance de ma part en termes géographiques et administratifs. En fait, et pour faire court, Nantes, pour moi, c’est indiscutablement la chanson de Barbara, une chanson d’adieux.

Le texte écrit par la chanteuse comporte plein d’éléments autobiographiques. Cependant, on peut tous, d’une manière ou d’une autre, s’y reconnaître dans cette rencontre très attendue et qui n’aura pas lieu, dans ce singulier déplacement qui aboutit à un rendez-vous manqué. Personnellement, il m’est arrivé de connaître des adieux à distance. Pendant des années, j’ai ressenti une énorme tristesse en m’apercevant que je ne me promènerais plus dans la belle campagne médocaine, que je ne serai plus à ses côtés dans la maison où j’avais passé tant de moments heureux. Cette séparation était définitive et sentait déjà la mort, qui arriva deux ans après mon dernier voyage vers le Sud-Ouest. J’ai aussi appris la mort de mon père lors d’un déplacement professionnel à Bali, trop loin pour y rentrer étant de l’autre côté du globe.

Sans doute, la puissance de la chanson réside dans la poésie, plein de belles rimes au service d’un récit funeste, raconté avec pudeur et délicatesse. Barbara était déjà célèbre quand elle apprît la mort de son père, qui avait quitté le foyer familial dix ans auparavant, laissant derrière lui une épouse et quatre enfants. Dans Il était un piano noir…, les mémoires de la chanteuse parues en 1998, soit un an après son décès, on apprend l’inceste dont elle a été victime à l’âge de dix ans et demi. Beaucoup de souvenirs douloureux chantés à travers des paroles suggérées, dans un langage presque codé et dans le style unique qui la caractérisait.

Puis, il y a l’interprétation, unique aussi, et parfaitement en accord avec ce voyage musical dans une ville inconnue à la rencontre d’un père qu’elle n’a pas revu depuis longtemps. « Ce vagabond, ce disparu », un inconnu enfin retrouvé sans vie à l’hôpital Saint Jacques de Nantes, mais que la chanson place dans une adresse fictive et pourtant symbolique : 25, rue de la Grange au Loup.

En 1986, profitant d’une tournée de Barbara en compagnie de son ami Gérard Depardieu et en hommage à la chanson, la ville de Nantes décida de créer une rue portant ce nom dans un nouveau quartier près du stade de la Beaujoire, au milieu d’un joli coin de nature planté de vignes. Il fut alors annoncé que le numéro vingt-cinq resterait non constructible et qu’un square allait se dresser à cette adresse.

Entre temps, les bétonneurs sont passés par là. Un immeuble s’y dresse maintenant, gris et sans cachet, un de ces cubes de béton qui peuplent désormais les anciennes praires devenues banlieues. Remarquez, entre temps aussi, Depardieu est devenu citoyen russe et Patrick Bruel chante Barbara. Permettez-moi donc de finir ce papier, et non sans ironie, avec les mots mêmes de la chanson : « Je n’ai pas posé de questions, à ces étranges compagnons. J’ai rien dit, mais à leurs regards, J’ai compris qu’il était trop tard ».

C.A.T.

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